« Boogie Woogie Piano » par Bulletin du Hot Club de France

       Voilà plus de dix ans, Frémeaux avait publié un double CD consacré au piano boogie de la période 1924-1945 (FA 036), la chronique parut dans le Bulletin 439. Le présent volume 2 agrandit la panorama avec 42 enregistrements de la décennie suivante, en commençant toutefois par une interprétation antérieure, It’s all right baby, chantée par Big Joe Turner accompagné par Pete Johnson. Elle provient du concert « From Spirituals to Swing » de décembre 1938, un événement qui contribua au renouveau du boogie-woogie.
       Le jeu précis et vigoureux de Pete Johnson se retrouve ensuite en solo dans Kaycee feeling. Lui succède l’autre grand maître ès boogie, Albert Ammons, dans un style aussi dynamique et swinguant mais plus fleuri sur Albert’s special boogie et, plus loin, sur Lady be good. Meade Lux Lewis, associé habituellement aux deux précédents, ne possède pas la fluidité de ses confrères (Medium boogie et Bush Street boogie, en fin de CD). En revanche Jimmy Yancey séduit par son style tendre et émouvant (Shave ‘em dry, White Sox stomp). La puissance et le swing de Sammy Price s’apprécie dans Mr. Freddie blues, chanté par Bea Booze.    
       Quelques pianistes de jazz s’approprient occasionnellement le boogie en y apportant leur empreinte personnelle, tels Earl Hines éblouissant dans l’inévitable Boogie woogie on Saint Louis blues, ou Art Tatum époustouflant dans Tatum pole boogie, ou King Cole qui partage avec son guitariste Oscar Moore dans Boogie a la King, ou Erroll Garner jubilant et intrigant dans Boogie woogie boogie. Si Dorothy Donegan se déchaîne furieusement (Piano boogie) Gene Rodgers, quelque peu raide demeure guère convaincant. D’autres sont plus ou moins banals (Hazel Scott, Martha Davis) ou plus ou moins pittoresques comme Montana Taylor, rustique, ou Erskine Butterfield qui administre avec monotonie le boogie à Offenbach, ou encore Sugar Chile Robinson, gamin de neuf ans ne manquant pas de culot.
       Sur le CD2 ne reviennent que deux participants du CD1, les toujours superbes Pete Johnson (Sunset romp) et Sammy Price (Sammy’s boogie). Les nouveaux venus sont des pianistes, jeunes ou moins jeunes, qui profitaient de la vogue du boogie en particulier et d’une musique privilégiant le côté rythmique en général. Amos Milburn n’avait pas vingt ans lors de l’enregistrement de My Baby’s boogie et Amos boogie dans lesquels on admire la précision de son jeu foisonnant. Un autre quasi-adolescent, Little Willie Littlefield, se manifeste avec véhémence dans Little Willie’s boogie.
       Hadda Brooks, au toucher brutal, n’éveille guère l’intérêt, deux autres dames interviennent, Nelly Lutcher, dont le talent modeste s’efface derrière l’accompagnement de batterie de Sid Catlett, et Camille Howard qui, elle, swingue avec autorité (Million dollar boogie). Charles Brown, qui évolue habituellement dans le mièvre, sait se montrer viril (Blazer’s boogie) et Cecil Gant, au jeu précis et ferme, brille dans New Cecil boogie. Le grand Jay McShann fait admirer son style dans la lignée Pete Johnson mais empreint de délicatesse et de sérénité (Hootie boogie).
       Les pianistes louisianais s’expriment avec tendresse et verdeur : Champion Jack Dupree (Cabbage greebs), Little Brother Montgomery (Shreveport farewell) et son neveu Paul Gayten (Cow Cow blues) et aussi le populaire Fats Domino (Swanee River hop). Le célèbre Chicago breakdown demeure un des boogies des plus fameux dû à un Big Maceo magnifique de feeling et de virtuosité. Autre personnage important, Roosevelt Sykes s’impose, obsédant et dynamique dans Blues n’boogie. Willard McDaniel, par ailleurs accompagnateur prolifique, excelle dans 3 A.L. boogie et le splendide Lloyd Glenn, injustement négligé, déroule Yancey special et Honky tonk train avec exceptionnelles maîtrise, élégance et précision.
A.V. – BULLETIN DU HOT CLUB DE FRANCE