Cette anthologie est indispensable par Jazz Hot

Sauf si vous avez l'intention d'acquérir la totalité des rééditions de ces formations, qui ont été réalisées par d'autres éditeurs (Classics, Masters of Jazz,…) et qui représente plusieurs dizaines, voire centaines d'albums et coffrets, cette anthologie est indispensable pour tout amateur qui se pique de culture jazz. Le choix était redoutable ; car, si l'anthologie fait inévitablement référence au goût personnel de son auteur, il n'en demeure pas moins qu'une telle sélection doit comporter des pièces significatives voire incontournables. Certaines faces particulièrement connues ou souvent rééditées n'ont cependant pas ici été reprises, l'auteur ayant fait le choix d'enregistrements caractéristiques certes mais moins diffusés. Voici donc réunies dans un coffret de deux Cds, quarante faces qui jalonnent l'histoire du jazz et qui ont contribué à l'écrire, sélectionnées parmi les enregistrements réalisés par vingt des plus grands orchestres noirs de l'Age d'Or du jazz : d'Henderson à Ellington en passant par Chick Webb, Count Basie, Benny Carter et Earl Hines et de nombreux autres que vous aurez plaisir à découvrir. La présentation par CD et l'enchaînement des pièces sont judicieux ; elle met en évidence deux grandes filiations ayant eu des destinées différentes et des promesses de vie fort dissemblables : la famille des big bands ayant eu une descendance nombreuse jusqu'à nos jours (CD 1) qui comprend aussi bien Armstrong qu'Ellington, Basie, Hampton ou Calloway ; l'autre branche, peut-être plus authentiquement ancrée dans la tradition musicale afro-américaine, qui s'est éteinte dans les années quarante et qui compte aussi bien Fletcher Henderson, Earl Hines que Jimmie Lunceford et Jay McShann… Parallèlement à cette différentiation de destins, l'enchaînement des pièces présentées met en évidence une évolution des styles à l'intérieur de chaque famille et au sein de chaque formation, lorsque l'occasion est offerte d'écouter plusieurs pièces d'un même groupe avec la lente évolution de certaines formes de jazz vers ce qui, à la fin des années quarante, sera classé dans la catégorie Rhythm and Blues (Buddy Johnson).
L'Aventure des Grands Orchestres Noirs – 1930-1956, livret écrit par Jacques Morgantini comporte de très nombreux renseignements musicologiques quant à l'évolution instrumentale et à la transformation organologique des orchestres. Ils permettent à l'auditeur de disposer d'un matériel informatif complémentaire à la musique qui en élargit la portée esthétique et lui confère une dimension sociologique dont le caractère d'entertainment, auquel jusqu'alors cette forme musicale était confinée, n'a pas pendant longtemps permis de révéler toute la richesse culturelle. L'auteur dresse, sur une quinzaine de pages bien illustrées, les conditions qui ont permis l'apparition de ces grandes formations et de leur rôle dans la construction des personnalités musicales qui en sont nées. Est ainsi mis en relief, dans le récit de cette véritable épopée musicale, le rôle essentiel des arrangeurs (terme, de mon point de vue trop réducteur, s'agissant en fait de véritables orchestrateurs) et la fonction pédagogique d'encadrement musical qu'ont remplie ces big bands. La présentation discursive de chaque orchestre, qui est ensuite faite, permet à l'auditeur de se familiariser avec le style de chaque musicien au sein de chaque formation dont l'emploi s'inscrit dans des logiques d'opposition ou de complémentarité (cf. le timbre et l'expressivité des saxophonistes ténors Al Sears et Arnett Cobb en opposition de style dans le le "Flyin' Home n° 2" chez Lionel Hampton 2/3/1944). Car, si après les années cinquante, les grandes formations ont eu tendance à présenter une unité sonore, le travail sur le voicing tendant à créer une grande homogénéité de sound (le rôle de la musique de cinéma, qui à Hollywood eut souvent recours aux musiciens et orchestres de jazz pendant et après la Seconde guerre, n'est pas étranger à cette métamorphose), la démarche était toute différente dans les années vingt et trente ; Duke Ellington cherchait par exemple à engager des musiciens venant d'horizons différents : du Sud (Bubber Miley de Carline du Sud) et de La Nouvelle-Orléans (Sidney Bechet ou son fils spirituel Johnny Hodges, Barney Bigard, le guitariste Lonnie Johnson…) pour donner, par la superposition des formes d'expressivité, une tonalité bigarrée à son orchestre. L'originalité d'Ellington jusqu'à 1945 tenait à ce modelé si particulier. La démarche fut de même nature chez Fletcher Henderson qui fit appel à Louis Armstrong, Red Allen… jusqu'à la dissolution de sa formation en 1938. Jacques Morgantini met enfin à disposition un outil didactique fort utile pour les non encore initiés du jazz, pour les non férus de blindfold test : la liste des musiciens intervenant en soliste dans chaque face. Les auditeurs pourront ainsi s'aguerrir au style de chaque instrumentiste.
Ce coffret, qui réunit des faces superbes des Greatest Black Big Bands est une merveilleuse introduction à l'univers des grands orchestres, dont Gianni Basso se plaisait à souligner qu'elle était "la seule véritable école des grands solistes".
par Félix W. SPORTIS - JAZZ HOT