Coeur de Chauffe G. Tarquin par Jazz Classique

« Radicina, radix, radicis…Ca vient de loin tout ça. Radici, raices, roots, racines…Tout le monde en a. Les racines… Quand on a vingt ans, cela ne vous préoccupe guère. A quarante ans, on commence déjà à s’en inquiéter davantage : débats socio-politiques, pensées philosophiques. D’où viens-je, qui suis-je, où vais-je… et quand donc serai-je augmenté ? » Pierre LAFARGUE – JAZZ CLASSIQUE

« Radicina, radix, radicis…Ca vient de loin tout ça. Radici, raices, roots, racines…Tout le monde en a. Les racines… Quand on a vingt ans, cela ne vous préoccupe guère. A quarante ans, on commence déjà à s’en inquiéter davantage : débats socio-politiques, pensées philosophiques. D’où viens-je, qui suis-je, où vais-je… et quand donc serai-je augmenté ? Aux alentours de soixante ans, ces sacrées racines deviennent un problème majeur ; souvenirs, traces, recherches, pistes, évocations, nostalgie, retour aux sources, remises au goût du jour, rencontres de toutes sortes de types. Plus on vieillit, plus votre jeunesse vous taraude, les « comment ? » amènent des commentaires, les « pourquoi ? » se ramassent à la pelle. Le clarinettiste Gérard Tarquin n’y a pas échappé, les racines l’ont rattrapé, Tarquin est taquiné par ses origines, et la réponse aux questions posées se matérialise, pour le plaisir de nos oreilles, par ce disque « Couleur Cachée » qui devient ainsi visible à l’œil nu. Après avoir été Tarquin le Superbe au temps des Haricots Rouges triomphants, l’un des plus populaires parmi les orchestres revivalistes français, voici désormais Tarquin l’Ancien à la tête de Cœur de Chauffe, une formation qui a le feu au cul. Retour au Pays  Revendiquant son ascendance martiniquaise, Gérard Tarquin enregistre en juillet 2003 un CD où les danses des Antilles d’hier et d’aujourd’hui offrent les clefs pour une ouverture facile d’une ardente Fête de la musique. Biguines et mazurkas créoles font éclater le swing des îles caribéennes, bonjour foulards, bonjour madras, et la gambille entraîne tout un chacun dans son sillage. Gégé Tarquin a invité à la fiesta ses copains des Papilionacées Amarante, Denis Carterre (tb), Pierre Jean (p), Norbert Congrega (bj), Alain Huguet (b), Michel Senamaud (d), auxquels se joignent des autochtones, Roland Pierre-Charles (acc, p, vo), Fifi Naeder et Pipou Couret (perc), Maura Michalon (vo) et d’autres. Tous prennent la vie par le bon bout et jonglent avec les notes brûlantes comme avec des torches vives. De l’aube irisée au crépuscule parfumé, du cœur à l’ouvrage, des airs entêtants, des fourmis dans les jambes. Harmonies ensoleillées, mélodies de la mer et du vent, rythmes lancinants des nuits créoles. Des côtes de la Louisiane, par delà le golfe du Mexique, en survolant Cuba, l’ancienne Hispaniola et Porto-Rico, on arrive aux Petites Antilles, la Guadeloupe, la Martinique, les Départements d’Outre-Mer. La distance est longue depuis la Nouvelle-Orléans ; pourtant les musiciens sont proches entre la Cité du Croissant et les îles françaises, le cousinage est certain, la parenté musicale est évidente. Il n’y a pas de rupture entre Honoré Dutrey et Albert Lirvat, Alphonse Picou et Eugène Delouche, Lorenzo Tio et Alexandre Stellio, Oscar Celestin et Abel Beauregard, Joe Robichaux et Claude Martial, Alcide Pavageau et le Guyanais Henri Godissard, voire Captain John Handy et Robert Mavounzy… Mains serrées au-dessus des vagues. Aujourd’hui (today), des artistes comme Georges-Edouard Nouel, Max Cornélie, Ti-Marcel Louis-Joseph, Christian Coco, Roger Raspail, Vivian e et Alain Ginapé, Serge Marne, Mario Canonge, Clément Légitimus, Jean-Pierre Ismaël, Tania Saint-Val, les associations Caraïbe Fusion et Corossol Diffusion, par exemple, perpétuent les traditions insulaires en tenant compte de l’évolution musicale liée aux temps changeants et bouleversants ; les rythmes ancestraux de la terre natale doivent s’adapter aux climats des grandes cités et à leurs orages économico-culturels, Rhum et Coca-cola. Bon ti rum la proposaient Mavounzy et Lirvat (Pathé PA 3049 -3 décembre 1953). Depuis plusieurs années, la maison Frémeaux a effectué un remarquable travail de prospection et de réédition, en particulier grâce au défrichage de Jean-Pierre Meunier, dans ce domaine singulier de la musique des Antilles françaises, archéologie exotique permettant de retrouver des archives sonores des plus passionnantes, enregistrées à Paris durant les années trente et quarante. Deux expositions parisiennes, par leur importance et leur prestige, n’ont certainement pas été pour rien dans cette multiplication de disques, dans cet afflux de musiciens, chanteurs et chanteuses venus de la mer des Caraïbes vers les boîtes, cabarets, music-halls, dancings et bals de la capitale : l’Exposition Coloniale de 1931, si décriée de nos jours par les « élites », si malmenée par les nouveaux « bien-pensants ».S’ils avaient pu, ils auraient réduit l’œuvre d’Albert Laprade, l’extraordinaire ex-Musée des Colonies de la Porte Dorée, en un tas de gravats !), et l’exposition « Arts et Techniques » de 1937. S’occuper du passé, c’est bien. On peut aussi s’intéresser à ce qui se passe maintenant. En 2001 était conçu un CD du trio David Fackeure avec Alain Raman et David Gore (Frémeaux EL 2207) sorti sous le titre sans équivoque de « Jazz on Biguine », qui évoluait dans un état d’esprit proche de celui d’Alain Jean-Marie. A présent c’est au tour de Cœur de Chauffe qu’activent efficacement Gérard Tarquin et sa clarinette dégingandée pour la plus grande liesse des auditeurs. Là encore, Frémeaux cultive un terrain fécond en éditons surprenantes. Ainsi, le patrimoine créole est-il sauf. La romancière guadeloupéenne Maryse Condé aime exprimer son sentiment sur ce qui est advenu et ce qui survient : « on emporte son passé et on le mêle à son présent ». En peu de mots, tout est dit. » Pierre LAFARGUE – JAZZ CLASSIQUE