Dans l’ombre, un frère par Libération

Il était chanteur, fantaisiste, excellent guitariste , mais il n’y avait pas de place pour deux Salvador dans la variété française. D’autant qu’André ressemblait à s’y méprendre à son cadet Henri.
Arrivés ensemble en France en 1929, les deux frères s’initient de concert à la guitare et débutent en duo en 1937 dans les cabarets parisiens. Fin 1941, Henri part pour l’Amérique du Sud avec Ray Ventura. A son retour quatre ans plus tard, les carrières des deux Salvador ne se croiseront plus. Tandis que le plus jeune accède à la notoriété, l’aîné ramasse quelques miettes, en province ou en Afrique du Nord, où il est annoncé comme «le fantaisiste atomique» ou «la trompette humaine».
Moins enjôleur. Mais Henri garde ombrage de la concurrence, soupçonnant son frère (ou ses impresarios) d’entretenir la confusion... La carrière d’André ralentira, jusqu’à s’effacer, au profit du sport où il excelle (ski,arc,arts martiaux). Après dix ans au Canada, il s’éteint en France dans l’anonymat, en 2003.
Il aura fallu attendre 2007 pour entendre sur disque la modeste œuvre gravée (1) par ce frère caché, et découvrir son histoire, sous la plume de Jean-Pierre Meunier, dans un passionnant livret. André Salvador est un chanteur moins enjôleur que son frère mais non moins convaincant, et il est admirablement soutenu par l’orchestre de biguine d’Ernest Leardée. Il y a plus troublant : en 1946, André grave sur 78-tours le classique Hey Ba Ba Rebop de Lionel Hampton, avec l’orchestre d’André Ekyan. Avec une énergie prérock’n’roll inédite dans la France de l’époque. Pendant ce temps, toujours avec Ray Ventura, son aîné Henri joue un swing plus proche de Glenn Miller que de Big Joe Turner." par François-Xavier GOMEZ - LIBERATION