« Des harmonies impeccablement arrangées » par La Croix

Voici un quintet vocal aussi atypique qu’enthousiasmant. Philippe Bellet, Justin Bonnet, Henri Costa, Didier Verdeille et Grégory Veux, tous remarquables, sont irrésistiblement drôles dans leur jeu de scène enlevé, organisé autour de simples chaises d’écoliers. Et ils chantent admirablement, sans micro – on pourrait écrire sans filet – dans des harmonies impeccablement arrangées, où s’entrecroisent lignes mélodiques, bourdons et mots qui cinglent. Ajoutons que ces voix d’or sont basses pour deux d’entre elles, ténors pour deux autres et baryton pour la dernière, qu’elles viennent aussi bien de l’opéra que des musiques traditionnelles, de la chanson française que du théâtre, et l’on aura presque tout dit… Presque, car le principal demeure à préciser : comme leur nom le suggère à celles et ceux qui ont gardé une âme d’enfant, les Têtes de Chien sont… des Parisiens. En d’autres termes, ils possèdent cette singularité propre à une majorité de leurs concitoyens : deux pieds dans la capitale et un cœur bien attaché au « pays » de leurs racines. En l’occurrence l’Auvergne, la Corse, le Roussillon, le Poitou et la Provence. Le détail a son importance car ces cinq chanteurs, qui évoluent en ensemble polyphonique, ne cessent de cultiver leur rapport à l’ici – Paris, son bitume et sa gouaille, qui les lie entre eux – et à ailleurs – la province et son terreau sonore, que chacun fait partager aux quatre autres. Leur goût pour les répertoires traditionnelles de leur province, auxquels ils donnent une prestance rarement entendue, fait le reste : sur un corpus de milliers de chansons rassemblées autrefois par l’ethnomusicologue Joseph Canteloube, eux ont sélectionné quinze pépites, en raison de leur thématique commune - la condition d’homme, fil conducteur du spectacle Portraits d’hommes -, et de leurs qualités littéraires. La Mal Mariée vengée (Nivernais), L’Anesse est tombée en fossé (Poitou), Christine de Nantes (Auvergne) ou La Belle si tu me délaisses (Cévennes), ces airs anciens renvoient en un temps où l’arc-en-ciel des sentiments se transmettait quasi exclusivement par le chant. Chants galants, grivois, de révolte ou de labour, ces belles pièces oubliées trouvent ici une seconde vie et une modernité inespérées. Jean-Yves DANA – LA CROIX