« Des textes d’une incroyable modernité » par Le Figaro

Les rappeurs, pour la plupart très machos, seraient bien surpris de découvrir que leur ancêtre était une femme, féministe de surcroît : Yvette Guilbert, inventrice du « parlé chanté » et reine du café-concert à la Belle Epoque. Sa vie fut une extraordinaire aventure au cours de laquelle elle parcourut le monde et rencontra Freud. Nous sommes en 1890, le futur inventeur de la psychanalyse est encore étudiant de Charcot à la Salpêtrière quand il assiste au concert d’Yvette. Freud est subjugué, et quarante années durant, ils entretiendront une correspondance et se verront régulièrement à Vienne où Yvette, star de l’époque, donne quasiment un concert par an… Le souvenir de cette pionnière nous est transmis par la chanteuse et actrice Nathalie Joly, qui a fait de la vie d’Yvette Guilbert le sujet de tous ses spectacles. La première pièce qu’elle lui consacre, crée à la demande de la Société française de psychanalyse, est jouée devant 800 psychanalystes médusés. Depuis Nathalie Joly a rassemblé une colossale documentation : l’intégralité de la correspondance de Freud et Yvette, offerte en facsimilés par le musée Freud, ou encore un étonnant fonds de partitions et de documents inédits sur le répertoire grivois de la chanteuse, transmis par Rosine Thomas, une vieille dame de 90 ans qui avait miraculeusement conservé ces archives malgré des héritages successifs. Grâce à cette mine de témoignages, Nathalie Joly va nourrir une trilogie retraçant les trois périodes de la vie d’Yvette Guilbert. Après « Je ne sais quoi » en 2008, puis « En v’là une drôle d’affaire » en 2012, voici repris « Chansons sans gêne » (2016). La mise en scène soignée offre des atmosphères intimistes qui sont autant d’occasions pour Nathalie Joly de dépeindre cette artiste qu’elle connaît si bien. Au fil des chansons, on découvre des textes d’une incroyable modernité qui ne s’embarrassent pas d’artifice et manient l’humour, la sensualité et la poésie. Yvette voulait « parcourir le monde pour apprendre la vie » avec pour seul leitmotiv l’émancipation. Un an après sa mort, les femmes voteront pour la première fois. Un joli spectacle à la fois très musical et d’une portée historique indéniable. Il fait l’objet d’un coffret de trois CD paru chez Frémeaux & Associés.
Par François DELETRAZ – LE FIGARO