« Il est resté dans la mémoire collective française » Par Lire

« Auteur dramatique, cinéaste, homme d’affaires, académicien, mémorialiste, romancier, historien même – un peu monomaniaque car spécialisé dans l’affaire du Masque de fer – Marcel Pagnol avait plusieurs cordes à son arc. Il s’était même imaginé passer à la postérité comme mathématicien en proposant une solution au théorème de Fermat ! Il est resté dans la mémoire collective française comme l’homme d’un région, la Provence, et d’une ville, Marseille. Il a immortalisé le « fériboite » (un bac) et le « Pont Tranbordeur » (une nacelle suspendue), attributs essentiels du Vieux Port d’autrefois, ou encore la recette du Picon-citron avec ses « quatre tiers ». Ses personnages, qu’ils soient issus de son théâtre, de son cinéma, de son œuvre de mémorialiste ou de ses romans, ont laissé une trace d’autant plus vive qu’ils furent incarnés par des comédiens souvent exceptionnels. Au théâtre, il suffit d’évoquer Topaze, l’instituteur, les protagonistes de la « trilogie marseillaise », Marius, Fanny et César (qui fut d’abord un film) ; ou au cinéma, le schpountz ; le boulanger de La femme du boulanger, ou le puisatier de la Fille du puisatier ; enfin dans les romans, le Papet Soubeyran, son neveu Ugolin, et Manon des sources de L’eau des collines. Sans la guerre, Pagnol aurait sans doute également réussi dans son entreprise de créer une sorte de mini-Hollywood marseillais. Pourtant, cet écrivain n’a guère suscité l’intérêt des universitaires. On lui a reproché ses « pagnolades » et le cinéaste a fait de l’ombre à l’écrivain. Pourtant la tentative de faire du « Pagnol » fut plutôt le fait de comédiens qui en rajoutaient, à la demande du public. Bref, si l’on veut comprendre l’authentique pagnolien — « lotantique » aurait dit Ugolin – il faut d’abord se défier du «pagnolesque».

Le pacte autobiographique
De l’enfance de Pagnol, nous savons beaucoup de chose de l’intérieur parce qu’il l’a raconté avec humour dans ses Souvenirs d’enfance : La gloire de mon père (1957), Le château de ma mère (1957) et Le temps des secrets (1959). Cette trilogie que complète la publication posthume du Temps des amours (1977) fait pendant dans l’esprit du public à la « trilogie marseillaise ». Dans un bref avant-propos, Pagnol déclare écrire «  pour la première fois en prose » - ce qui est exagéré – et confesse ses scrupules : « C’est bien imprudent, vers la soixantaine, de changer de métier. » Car la position du romancier, plus encore celle du mémorialiste, lui imposait pour la première fouis de se préoccuper de style au delà de celui que doivent avoir des personnages de théâtre : « Ce n’est plus Raimu qui parle, c’est moi. Par ma seule façon d’écrire, je vais me dévoiler tout entier, et si je ne suis pas sincère – c’est-à-dire sans aucune pudeur – j’aurais perdu mon temps à gâcher du papier. » Et Pagnol d’ajouter qu’il ne s’agit dans ses souvenirs que « d’une petite chanson de piété filiale », celle d’un homme mûr qui éprouverait le besoin « de raconter l’enfance d’un petit garçon », l’enfance «  des grands-pères d’alors », peut-être pas très différente de celle des « petits garçons de tous les pays du monde et de tous les temps [qui] ont toujours eu les mêmes problèmes, la même malice, les mêmes amours ». L’essentiel est dit. Lorsque Pagnol parle de lui-même, c'est-à-dire du monde qui l’a vu naître et dans lequel il a grandi, il n’invite pas son lecteur à une ballade touristique dans la Provence d’autrefois, mais à partager avec lui dans la simplicité d’un langue classique, quoique adornée de provençalismes parfois recherchés – ainsi Landolfi ou Ugolin ont les yeux qui « parpelègent » - l’expérience même de l’enfance de tous les hommes. »
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