« L’attribution d’un Choc était évidente » par Jazz Mag

J’avoue : l’attribution d’un Choc était évidente avant même l’écoute de ce coffret eu égard tant au contenu musical – véritable mine d’or – qu’à la qualité du livret, toujours aussi clair et documenté sous la plume du regretté Alain Tercinet. Réécouter un musicien que tout le monde connaît (Webster est dans toutes les compilations jazz) est toutefois toujours riche d’enseignements et cette écoute semblait forcément devoir donner matière à de nouvelles réflexions, tant sur l’homme que sur le jeu. Finalement il n’en est rien : ces quelque vingt-six pièces maîtresses gravées en compagnie de Jack Teagarden, Duke Ellington, Benny Carter, Harry « Sweets » Edison… ne dégagent en effet, au-delà du plaisir habituel, aucune sensation inédite, pour la bonne raison que tout a été dit et analysé au sujet de Webster : une sonorité magnifique (jeune, Webster a d’abord joué du violon), un feeling monstrueux balançant entre le rugueux et le suave à un point parfois caricatural, un placement rythmique faussement nonchalant auquel Lester Young n’est bien sûr pas étranger, et par-dessus tout cette capacité à traverser les époques (Webster disparaîtra en 1973) sans rien changer à un jeu basé avant tout, a l’instar de celui de Paul Gonsalvez, sur le style . Un style et un jeu moins audacieux, mais également peut-être moins surannés que ceux de Coleman Hawkins sur ce « Blues for Yolande » par exemple, gravé par les deux géants en 1957, car encore plus riche, et ça n’est pas peu dire, de chaleur et d’humanité. J’ai d’ailleurs l’impression que certains jeunes saxophonistes ténor d’aujourd’hui, sans être évidemment « websteriens », reviennent à un type de jeu tourné vers le mélodique et le narratif.
Par Eric QUENOT – JAZZ MAGAZINE