« L’authenticité des hommages à l’Afrique » par ABS

La relation de l’Amérique noire à l’Afrique a toujours été – et reste ambiguë. En majorité, les communautés africaines-américaines ont, de tous temps, ignoré ou jeté un regard condescendant sur le pays de leurs ancêtres. La croisade de Marcus Garvey dans les années 20 avait bien conduit une poignée de Noirs américains à un retour en Afrique pour échapper à la ségrégation ; ils avaient été envoyés dans une région que est le Liberia actuel sur la Côte Ouest Africaine mais la mainmise des grandes compagnies US fruitières et de cultures d’hévéas avait conduit à une alternance politique de ces Noirs US, enrichis mais complètement à la botte des multinationales et traitant les populations africaines locales comme des esclaves corvéables à merci (un comble !) et on sait ce que cela à donné il y a quelques années : une guerre civile avec un génocide à la clé. Dans les milieux intellectuels (minoritaires) il en allait autrement, le Harlem Renaissance des années 20-30 mit en valeur l’Art Nègre en général (littérature, sculpture, danse et musique) ainsi que le Continent qui en était le dépositaire, l’Afrique. Ce courant, très minoritaire et réservé à une élite, ne modifia en rien l’absence d’intérêt de la majorité noire US pour le pays des ancêtres et ce n’est que très récemment que des voyages ont été organisés pour aller visiter l’île de Gorée au Sénégal d’où partaient les navires négriers des XVIIe-XVIIIe et XIXe siècles pour le Nouveau Monde (Barack Obama y est allé lui aussi en 2013). Mais ces touristes aisés regardent encore les Africains des masses populaires de haut. On a assez reproché au Président Obama son manque d’implication dans le développement de l’Afrique, il ne fait en réalité que relayer l’indifférence de tous les américains (noirs compris) pour un continent dont ils sous-estiment le potentiel humain, économique et culturel (enfin il semble que cela commence à bouger… il serait temps !). C’est un peu tout cela qui est au centre de cette anthologie de trois cd (57 faces) qui démarre avec une adresse de Marcus Garvey aux Africains : Greeetings to fellow citizens of Africa (sans doute New York, circa 1920) puis donne la parole à des musiciens des caraïbes, beaucoup plus intéressés quant à eux par leurs origines, et qui témoignent d’un réel intérêt pour le continent noir (Lord Lebby, Alwyn Richardds, Wilmoth Houdini, Sam Manning, Lord Kitchener…). La plupart des autres faces sont interprétées par des musiciens de jazz et de blues/r&b, des ensembles vocaux et des doo-woop, mais pour la période 1920-1960 on peut affirmer à coup sûr que l’Afrique était un prétexte circonstanciel pout tantôt se moquer des tenants de l’Art Nègre  à peu de frais, tantôt surfer sur la mode lancée par la Harlem Renaissance : quand King Oliver et Louis Armstrong glorifient les Zulus, c’est pour le fun et rien que pour cela… Quand Duke Ellington passe au style jungle, il reste sur un plan théorique et il va de même pour les autres musiciens de jazz classique et de l’ère des bing bands. Signe des temps, seuls les musiciens de jazz moderne semblent marquer un intérêt réel pour l’Afrique (plus que pour ses habitants d’ailleurs), sans oublier quelques musiciens sud-africains qui sont bien sûr partie prenante dans la problématique, mais sont de l’autre côté de la barrière (l’Océan Atlantique !). Ils sont tous bien représentés ici. Qu’on ne s’y trompe pas, quoi que l’on pense de l’authenticité des hommages à l’Afrique tels que le conçurent les Noirs Américains, toutes les faces reprises ici ont un réel intérêt historique et font de cette anthologie une pièce importante dans toute discothèque individuelle. Robert SACRE - ABS