« L’Esprit Français est une tension perpétuelle, un janus permanent »

« L’association Arte Filosofia était assurée de faire salle comble hier soir au Théâtre Croisette à Cannes avec Michel Onfray en tête d’affiche.

À l’heure de la remise en cause des notions aussi fondamentales que la nation, le peuple, l’identité, la culture, l’existence même de la France, Michel Onfray abordait avec une grande assurance le thème proposé : L’Esprit Français.

Descartes ou Montaigne ?

C’est son ami de longue date, Patrick Frémeaux, qui lançait la conférence avec cette image : si la France se regarde dans un miroir, qu’y voit-elle ? Avant de laisser la parole au conférencier, il avançait que — pour lui — Descartes pourrait être le philosophe emblématique de L’Esprit Français.

La liberté d’Onfray s’afficha dès ses premiers mots car il n’hésita pas à contredire son fidèle ami en affirmant que — pour lui, s’il devait y avoir un philosophe qui représente L’Esprit Français — c’est bien Montaigne.

Très vite cependant Onfray précisait que L’Esprit Français est une tension perpétuelle, un janus permanent avec toujours des couples antoganistes. Il y a dans le même temps Descartes et Montaigne, Calvin et Rabelais, Gabriel Naudé et La Boétie, Voltaire et Rousseau, les Jacobins et les Girondins, Robespierre et Danton, Jules Ferry et Clémenceau, Sartre et Camus, Pétain et de Gaulle. C’est avec Montaigne que Michel Onfray voit apparaître L’Esprit Français. Montaigne est le génie sans lequel aucune philosophie n’est possible, il a l’humour de Voltaire, la perspicacité de Descartes, l’esprit de finesse de Pascal, mais c’est aussi un bon vivant au franc parler qui frise l’insolence. Il ne craint ni le Pape, ni le Roi. Montaigne écrit délibérément en Français car il ne cherche pas à s’adresser aux savants et aux docteurs. Dans sa lignée les philosophes français seront tous lisibles jusqu’à ce que certains d’entre eux subissent l’influence allemande, notamment Sartre à partir de 1943, pour lesquels la philosophie s’adresse à une élite intellectuelle.

Descartes joue les « fiers à bras ». Sa rouerie le fait avancer masqué. Il doute de tout sauf de la religion. Donc du roi. Donc de rien finalement s’il ne remet pas en cause l’essence même du pouvoir. Notre conférencier en profite pour rappeler que Glücksmann se trompe en voyant les Français cartésiens. Pour lui, ils ne le sont pas tant, car il reste chez nombre de philosophes contemporains beaucoup de l’esprit de Montaigne.

Liberté – Égalité – Fraternité

Patrick Frémeaux aborde un autre aspect de L’Esprit Français : le rêve d’universalisme et la devise « Liberté-Égalité-Fraternité ».

Pour Michel Onfray, ces trois devises sont contradictoires. Il rappelle tout d’abord que cette devise fut formulée par Robespierre qui la faisait suivre de « ou la mort ». C’était « Liberté-Égalité-Fraternité ou la mort ».

Cette formule est inspirée du Contrat Social de Rousseau. Mais pour Rousseau, comme pour Robespierre, la Liberté est obéissance à la loi qu’on s’est prescrite, donc obéissance à la loi prescrite par ceux qui ont capté le pouvoir. De même l’Égalité vaut devant la loi : libres et égaux en droit. La Fraternité découle alors des deux premières.

Dès le départ cette formule portait une dimension universaliste, elle valait pour la France, pour l’Europe, et donc pour le monde. Montaigne n’a jamais eu, lui, de vision globale de sa pensée. Il s’intéresse aux divers us et coutumes, sans jamais avancer que les uns puissent être meilleurs que les autres. C’est lui qui nous conseille : « Car c’est la règle des règles, et générale loi des lois, que chacun observe celles du lieu où il est ». L’Esprit Français subit encore de fortes tensions sur la vocation internationaliste de la France. Michel Onfray rappelle ici les débats qui se déroulèrent à l’Assemblée Nationale au sujet de la colonisation. Clémenceau ne partageait pas la vision de Jules Ferry qui voulait « éduquer les sauvages ». Le vote en faveur de la colonisation ne l’emporta que de justesse. Les auditeurs ont compris que Michel Onfray ne se place pas du côté des colonisateurs, fussent-ils de gauche comme Jules Ferry, qui se placent dans la lignée des Jacobins.

La France est empêtrée aujourd’hui dans les conséquences de ce colonialisme dont elle ne parvient pas à s’affranchir. Pire, de nos jours, nous poursuivons cette politique sous les ailes des Américains. Personne n’est dupe cependant des intérêts économiques qui sous-tendent toujours nos interventions extérieures. Le terrorisme n’est que la suite logique de cette vision universaliste imposée aux peuples lointains. Nous importons le terrorisme car nous exportons la guerre. (...)

Michel Onfray recommande d’être pragmatiques et non pas dogmatiques, d’être spinozistes. Le philosophe doit avoir le sens de la réalité (comprenez : comme moi). C’est pourquoi notre conférencier préconise l’octroi de subventions aux mosquées qui seraient alors sous contrôle de l’État, avec des imams qui ne s’expriment qu’en Français, contrôlés par les services du Renseignement Intérieur. Sinon nous avons ce que nous avons aujourd’hui : des mosquées salafistes financées par le Qatar qui attisent le ressentiment.

Car, nous rappelle-t-il, nous fabriquons par nos guerres à l’extérieur, le terrorisme à l’intérieur. On est forts avec les faibles, faibles avec les forts.

Michel Onfray est intarissable sur tous les sujets. Son immense culture étaie ses propos, qui restent toujours audibles. Une séance de questions-réponses s’ensuivit qui permit à Onfray d’aborder d’autres sujets avec toujours un éclairage incisif et construit. Rebelle, ce Michel Onfray. Sûrement comme Michel de Montaigne en son temps. En tous cas, bien dans L’Esprit Français. »

Par Georges GOURDIN  – NICE PROVENCE