« L’univers sensible de l’écrivain » par Écouter Voir

L’enregistrement de textes (littéraires ou de témoignage), la restitution d’archives sonores, sources de l’histoire contemporaine, sur CD, ne constitue, certes, qu’un modeste marché dans le gros de l’édition phonographique, comme c’était déjà le cas au temps du support cassette. Il n’empêche qu’il a son public, fidélisé par la qualité des productions et coproductions disponibles, aux avant-postes desquelles il faut placer celles de Frémeaux & Associés. Pour ne s’en tenir qu’à une actualité récente, cet éditeur nous propose coup sur coup – indépendamment des productions musicales qu’il continue de diffuser parallèlement – un double album consacré au négationnisme et trois coffrets consacrés à la lecture d’œuvres considérées comme des classiques du patrimoine littéraire français par des comédiens de renom : Gargantua, Candide, Le ravissement de Lol V. Stein. Ces dernières productions viennent grossir les monuments discographiques déjà édifiés au profit de la littérature, avec la Bible, l’Iliade et l’Odyssée, Platon, Machiavel, Dostoïevski, Tchékhov ou Zola, Prévert, sans oublier l’anthologie Cocteau et les Portraits de Gainsbourg ; et, au bénéfice de la mémoire de l’histoire, La Grande guerre et Paroles de Poilus, La Déportation, Crime contre l’humanité, l’Anthologie sonore du socialisme, celle des Discours du Général de Gaulle, l’Anthologie du XXème siècle par la radio ou les témoignages des survivants du Titanic. […] L’audition du récit de Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, dit par Fanny Ardant, invite une fois encore à s’interroger sur le bien fondé d’enregistrer à haute voix ce qui a été conçu pour être lu silencieusement avec les yeux. Certes il est des textes qui s’y prêtent moins mal que d’autres. Encore faut-il que le diseur ait le timbre, la couleur de voix, le souffle correspondant (au sens Baudelairien du terme) à l’univers sensible de l’écrivain. Trop souvent cette préoccupation n’est même pas prise en compte, la tâche étant confiée à des comédiens de circonstance, de ceux qui « cachetonnent » dans les émissions radiophoniques à caractère historique. Si l’acteur est renommé, il est choisi pour sa notoriété marchande d’avantage que pour une sensibilité accordée avec l’esprit et la chair de l’œuvre. Parfois (c’est le cas pour Lol V. Stein), le choix semble de prime abord si évident qu’il n’aboutit qu’à une performance redondante, qui dissipe le mystère du texte en le banalisant. L’addition du style réitératif, circulaire de Duras et de la diction artificiellement posée, brève, de Fanny Ardant conditionnent un produit snob, qui ravira les inconditionnels et agacera les autres.
Michel SINEUX – ÉCOUTER VOIR