« La trace de Jean Vilar » par Les Cahiers de la Maison Jean Vilar

…On a reproché à Vilar de n’avoir monté que des classiques, ouvrant ainsi la voie à des pratiques bien établies chez nos meilleurs metteurs en scène. C’est oublier que les auteurs vivants auxquels il s’est adressé, Camus, Sartre, Giono, Aymé, se sont détournés de lui et de l’aventure du TNP. Tout juste pouvait-il se consoler en recevant une lettre de Jean Anouilh qui lui disait, au moment où il était le plus attaqué : « Je vous tiens pour un de nos plus grands hommes de théâtre depuis trente ou quarante ans qu’on essaie de refaire le théâtre… » mince consolation quand on sait que Vilar n’a pas réussi a imposer Pichette (Nucléa) à Chaillot, ni au Récamier (qui devait lui servir de théâtre d’essai), Beckett, Obaldia, Gatti, Vian ou Pinget… En 1963, après onze années intenses, Vilar abandonne. Peu avant, Gérard Philippe est venu jouer deux Musset : ses derniers rôles. Vilar est las de lutter contre les pouvoirs publics, qui reprennent d’une main ce qu’ils ont donné de l’autre. Las de jouer – plus de trente rôles - dans une salle trop grande (elle a été refaite en 1971) où le dernier spectateur est a plus de cinquante mètres du plateau… Lorsque, en juillet 1968, en plein Festival d’Avignon, Vilar a vu s’élever contre lui les rescapés irresponsables de Mai en mal d’idoles à abattre, qu’on a fait rimer son nom avec celui de Salazar (?), il n’a pas compris – pas plus que ceux qui avaient été témoins de son profond engagement politique – ce qui lui arrivait. Frappé d’un infarctus le mois suivant, il ne s’est pas remis de ces manifestations deshonnêtes. La Maison d’Avignon, les théâtres, les rues qui portent son nom, la fidélité de ceux qui ont travaillé avec lui suffisent-ils à effacer les injustices dont Vilar a souffert? Mais à Chaillot et au Palais des Papes, l’été, résonnent encore les trompettes de Maurice Jarre appelant le public à des nouvelles fêtes qui n’existeraient pas sans lui. Guy DUMUR
Extrait d'un article paru dans le Nouvel Observateur du 7 février 1991, et dans l'"Expression théâtrale 1944-1991", Guy Dumur, éd.Gallimard, 2001, p.246 (Textes réunis par Colette Dumur, Prix du meilleur livre sur le théâtre décerné par le Syndicat professionnel de la critique dramatique et musicale en 2002).