« Le bonheur de Moune de Rivel » par Alizés

Á 82 ans, la grande dame de la chanson traditionnelle créole sort un nouvel album Joie et nostalgie créoles. Fidèle amie de l’Aumônerie, Moune a reçu Alizés en toute simplicité, dans son appartement de Montparnasse à Paris où elle vit depuis 60 ans. Elle raconte son bonheur de vivre et de chanter. « Je me suis toujours considérée comme une femme heureuse ». D’emblée, Moune de Rivel fait part de son optimisme et de sa joie de vivre. Un bonheur tout simple qui passe nécessairement par la musique créole. « J’adore la musique mais ma vraie passion, héritée de ma mère, c’est la musique créole ».Ce n’est pas un hasard su Joies et Nostalgies Créoles est dédié à sa mère. Fernande de Virel, auteur compositeur interprète, premier prix de Conservatoire. Là où d’autres femmes se seraient montrées réticentes, la mère de Moune a toujours applaudi et encouragé le penchant de sa fille pour la musique. Son père, Jean-Louis Baghio’o était lui aussi amateur de beaux accords. « Il disait toujours : Je chante faux mais j’entends juste » sourit encore sa fille. De ses parents, outre l’humour, Moune a gardé une philosophie de la vie. « Dans ma famille, nous essayions toujours de vivre en face à la vie et d’affronter l’adversité. Cela m’est resté ». Moune a connu des moments difficiles. La Guerre, l’Occupation alors qu’elle était déjà installée à Paris, cinq enfants à élever…Femme forte et digne, résolument optimiste, elle ne s’est jamais découragée, portée par l’amour de son art et le bonheur de chanter.Mais que l’on ne s’y trompe pas. Si la musique est pour Moune de Rivel source de plaisir, elle n’en est pas moins un réel travail. Lorsque, au piano, une harmonie « ne vient pas » l’artiste cherche alors, en travaillant ses mélodies jusqu’à trouver le bon accord, la note juste. C’est là que réside toute l’exigence de son métier. Car Moune est une perfectionniste qui ne s’autorise aucune fausse note. Pour mieux illustrer son propos, elle s’installe au piano. Et là, dans son salon,, montent les notes claires et rythmées, et sa voix indéfinissable et si émouvante chante : « Adieu Marie-Galante ». Moment unique où pendant un instant, le temps s’arrête. C’est à ce travail, sans cesse à renouveler, que Moune consacre toute son énergie. Cette même énergie qui lui a permis de mener à bien un projet qui lui tenait à cœur depuis plusieurs années : créer à Paris le premier conservatoire des musiques créoles. C’est chose faite en 1995. Son seul regret : avoir commencé trop tard. Quand le conservatoire (88 rue de la Jonquière, Paris 17ème) voit le jour en 1995, Moune en rêvait depuis 40 ans. « Mais personne n’y croyait » se souvient-elle. Aujourd’hui, si elle ne dirige plus elle-même ce conservatoire, son œuvre de transmission se poursuit et la relève est assurée. Après Igo Dané qui a conduit un temps les activités du conservatoire, c’est au tour de Victor Poteau-Geoffroy de prendre en charge le passage du savoir et des traditions. « Une Guadeloupéenne, un Martiniquais et maintenant un Guyanais » se réjouit-elle, « le conservatoire ne pouvait rêver plus belle succession ».Le bonheur de Madame de Rivel fait chaud au cœur. Son optimisme obstiné et son amour de la vie sont une belle leçon de persévérance. Infatigable, elle a des projets plein la tête. Outre les interviews qu’elle accorde pour cet album et les vendredis soirs où elle anime le restaurant antillais le Flamboyant à Paris, Moune a la ferme intention d’organiser un concert pour partager Joie et Nostalgie créoles avec son public et tous ses amis. Et il suffit de l’avoir vue sur scène une seule fois pour savoir que c’est son lieu de prédilection. Elle y défie le temps avec un brio et une énergie époustouflants.Joie et nostalgie créole est à écouter sans faute car il est l’album témoignage d’une vie entière consacrée à la musique créole. « Une musique qui transporte notre image dans le monde entier. Du Zouk au Gwo Ka, la musique créole permet de sortir de la misère, du manque de respect d’un homme à un autre homme… »  s’enthousiasme Moune, ambassadrice convaincue qui a voyagé aux quatre coins du monde. « Issue de l’esclavage, cette musique démontre que l’être humain est capable de sortir de tout » considère t-elle encore. Ce dernier album est l’image même de son auteur, tout en générosité. Des standards (La grèv baré mwen, Fanm Matinik dou, Choucoune), des créations de Moune elle-même (Seule sur la plage, A morne à l’eau…) et des créations de sa mère, Fernande de Rivel, (Sé kon sa ou yé, Mam’zelle ka ou tini ?), le tout mêlé dans un savant dosage de rythmes et de « couleurs » créoles. Du plaisir à l’état pur, entre joie et nostalgie. Moune s’accompagne au piano ou à la guitare mais elle s’est aussi entouréé de musiciens de renom comme Clément Légitimus, « Ti Marcel »Louis Joseph, Jean-Pierre Ismaêl ou son neveu guitariste Ghio’o Baghio’o, qu’elle a personnellement initié à la biguine…
Léa ROBOAM-ALIZÉS