« Les piliers fondateurs de la chanson d’auteur moderne » par Le Petit Format

Ce double CD consacré à Gilles et Julien est un évènement à double titre : par la qualité sinon la verve du répertoire chanté et par l’affirmation d’un nouveau style scénique fait l’interaction avec le public et de responsabilisation inédite de celui-ci. Fruit de plusieurs années de recherche, cette intégrale vient réparer l’injustice qui frappe un des duos les plus populaires des années 30. Outre que Gilles et Julien furent un modèle de qualité, d’intelligence et de courage, il est permis d’affirmer qu’ils furent, entre 1932 et 1937, les piliers fondateurs de la chanson d’auteur moderne. Faut-il rappeler que George Brassens, Léo Ferré, Francis Lemarque, Mouloudji, Les Frères Jacques, Jacques Brel, parmi d’autres, les considéraient comme le modèle de référence tant du point de vue humain que esthétique. Proches collaborateurs de Jacques Copeau pendant une douzaine d’années, ils font irruption au music hall en mai 1932. Avec un répertoire à la fois humoristique, corrosif et poétique, ils séduisent d’emblée la profession, la critique et tous les publics auxquels ils s’adressent – fait rarissime à l’époque. En cinq ans et demi de carrière, ils donnent plus de 150 concerts par an, se produisent dans les plus grands music-halls et les villes d’eau, sillonnent les cinémas et les salles populaires, gravent une quarantaine de chansons pour Columbia, créant en outre de nombreuses émissions de radio et remportant par deux fois le Prix du disque Candide, véritable consécration. Leur style reposait sur les dialogues chantés, la maîtrise de l’espace scénique, les éclairages expressionnistes et sur la conviction. L’échec du Front Populaire, la montée des périls en Europe, la lassitude du travail répétitif et des tensions survenues entre eux eurent raison de ce duo d’excellence. Leur répertoire était constitué de pièces de néo-folklore et chants de marins revisités par Gilles (Le beau Navire), de climats poétiques, tendres ou ironiques (Le Chemin des écoliers), de chansons engagées à portée sociale (Dollard), de titres parodiques (Faut bien qu’on vive) et de rares pochades. Mélodiste élégant, Gilles choisissait des marches et des valses adaptées à ses textes,  de préférences à des rythmes plus syncopés. Quelques raretés comme une publicité Renault ou de larges extraits d’une pièce de théâtre phonographique, le Hamlet de Shakespeare, ainsi que deux titres en solitaire – l’un de Gilles seul et l’autre de Julien seul-, complètent ce florilège.
Christian MARCADET – LE PETIT FORMAT