« Que tous les saints de La Nouvelle-Orléans soient honorés » par Libération

« L'art de Louis Armstrong, retrouvé chez des particuliers qui ont enregistré ses concerts avec leur poste radio en 48/49, retentit de joie pure dans 3 nouveaux CD. L' Intégrale du trompettiste de la Nouvelle-Orléans chez Frémeaux compte maintenant 45 CD. Que tous les saints de La Nouvelle-Orléans soient honorés en ce début de printemps, l’éditeur phonographique Frémeaux et Associés présente le quinzième volume (3 CD par coffret) de l’Intégrale Louis Armstrong, premier génie du jazz. Génie ? Le mot est faible. L’histoire sacre le trompettiste (cornettiste), créateur et premier soliste du jazz. Fondateur d’un art majeur du siècle dernier. Le Louisianais, de 1925 à 1945 invente tout. Sans conteste. Miles Davis : « On ne peut rien jouer à la trompette que Louis Armstrong n’ait déjà joué - y compris le jazz d’aujourd’hui. J’aime la conception moderne du jeu de la trompette, jamais il ne sonne. mal. Il joue sur le temps. Comment mal jouer quand on joue sur le temps avec un tel feeling? » Surenchère de Bing Crosby, chanteur américain contemporain de Satchmo : « J’ai rencontré Louis à Chicago, dans les années vingt. Il venait de quitter King Oliver. Unique. Inimitable. Tout le monde voulait jouer de la trompette comme lui. En vain. Rien ne se passait. C’est clair : quand Louis chante une ballade triste, vous pleurez. Quand il chante un air enjoué, vous avez la banane ». Lionel Hampton avoue qu’il se passait délibérément de manteau en hiver, dans l’espoir d’attraper froid. La laryngite devait permettre au légendaire vibraphoniste d’attraper la voix rauque et chaleureuse de Louis.
Le Volume 15 de la précieuse série couvre la période 1948/49. A l’époque, les big bands se cherchent. L’intérêt du public se tourne naturellement vers les petites formations. Pile poil émerge alors le septet de Louis, The All-Stars. Un plateau de vedettes! Le pianiste Earl Hines, le tromboniste Jack Teagarden, le batteur Sid Catlett, la vocaliste Velma Middleton, le contrebassiste Arvell Shaw. L’équipe au complet enchante les publics de Philadelphie en 48 (plusieurs concerts homériques). Et de San Francisco, Los Angeles, Cincinnati en 49. Enregistrements exceptionnels. Comment diable les sons arrivent-ils jusqu’à nous? En effet, pendant deux ans, aucun studio n’accueille le septet... Le label a confié la recherche des bandes au spécialiste Daniel Nevers. L’Indiana Jones des trésors musicaux a pisté les enregistrements sur laque réalisés par des particuliers. J’avais rencontré Nevers au milieu de son musée, à Maisons-Alfort, aux portes de Paris. L’expert explique : « dans les années vingt, la firme Pyrolac de Créteil invente un procédé de gravure directe pour les particuliers. Un matériel encombrant, fragile. De surcroît pas à portée de toutes les bourses. Les auditeurs avaient la possibilité d’enregistrer de leur propre poste des émissions de radio en direct des studios, des salles, des clubs. Grâce à eux, une part des émissions put être sauvée. Il était possible d’écouter le disque gravé sur le champ. On appelait l’objet une pyrale. En quelque sorte l’équivalent des Polaroïds pour la photo. Le procédé revenait cher. Aux USA, pourtant, il a fait un tabac. Les Américains ont compris l’intérêt des pyrales. Ils ont commercialisé les laques enregistrables à grande échelle ». Les laques en question apparaîssent lors de ventes aux enchères, ou de successions. Daniel Nevers est connecté au réseau. A partir de 1948, la formule du All-Stars se met en place, observe Nevers dans les liner notes. Elle favorise le nouveau départ d’Armstrong, qui triomphe dans le monde entier. Comme tous les génies (j’ai trouvé la formule chez Duke Ellington), Satchmo se copie lui-même. Il adapte les trouvailles de son premier âge d’or. Dizzy Gillespie déclarait au festival de Newport, en 1970 : «si Louis n’avait pas existé, nous ne serions pas là ». Finement observé, cher Dizzy. Car moi non plus, je n’en serais sans doute pas là. »

Par Bruno PFEIFFER - LIBERATION