«Rencontre » par Amina

Une carrière musicale et artistique hors du commun. Une vie consacrée à faire aimer dans le monde la chanson créole. Moune de Rivel est décidément une référence. Née il y a quatre-vingt-deux ans dans une famille de musiciens, Moune de Rivel est la fille de Fernande de Rivel, compositrice, pianiste et violoniste. C’est grâce à elle que la jeune fille de 13 ans débute sa carrière dans un restaurant russe de Montparnasse : le « Cabaret des Fleurs ». Deux fois, chaque soir, elle y interprète les chansons créoles de sa mère, au piano. Elle est ensuite engagée à la « Boule Blanche », le cabaret antillais de la rue Vavin. Et commence à être connue à Montparnasse. De 1945 à sa fermeture en 1996. Pendant cette période, elle se rendra également au « Café Society » de New York. Elle séduit les Américains et reste deux ans au lieu de deux mois initialement prévus. La Finlande, la Suisse, l’Allemagne, le reste de l’Europe et l’Afrique n’ont pas été insensibles à sa voix. Moune de Rivel est passée par plusieurs cabarets, fait du cinéma, de la radio, de la télé et produit de nombreux spectacles folkloriques. Pas surprenant, que cette grande dame de la chanson créole ait été décorée une quinzaine de fois…
Celle qui se plaît à être la voix de toutes les chansons créoles vient de sortir « Joie et Nostalgie Créoles ». Un album évènement. Dédié à sa mère, Fernande de Rivel. En quatorze titres, les plus beaux morceaux créoles sont interprétés. De la Guadeloupe et de la Martinique, bien sûr, mais aussi de la Guyane, de la Réunion et de l’Ile Maurice. Rencontre.
Renée Mendy-Ongoudou : « Joie et Nostalgie Créoles » semble rassembler les plus belles chansons créoles. Parlez-nous de la naissance de cet album ?
Moune de Rivel :C’est un Cd qui comprend quatorze chants qui viennent de cinq pays différents : Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion et Haïti. Quatre chansons sont de ma mère. La raison de ce disque c’est »Mam’zelle Ka Ou Tini » (Ndlr : Mademoiselle, qu’avez-vous à pleurer ainsi ?). Un texte très poétique et mélancolique. L’album comprend également des textes très gais et mouvementés. J’ai travaillé avec de grands musiciens de la Martinique et d la Guadeloupe, Georges-Edouard Nouel, Marcel Louis-Joseph, Clément Légitimus, Carlos Bartouche, Jean-Pierre Ismaël.
RMO : « Mam’Zelle Ka Ou Tini » a été écrit par votre mère en 1901…
MDR : J’ai toujours chanté ce titre. En principe, j’ai presque toujours chanté les chansons de ma mère. Que ce soit aux Antilles, en Finlande, en Afrique, en Amérique. A New York, cela surprenait d’entendre une femme noire, après l’occupation Allemande, chanter des chansons créoles. J’ai toujours refusé de chanter du jazz. Même si j’adore cela, j’ai voulu garder mon étiquette de chanteuse de vieilles chansons créoles et mon authenticité. Je ne chante pas de chansons modernes afin de préserver notre patrimoine. A mon retour, d’Amérique, je me suis rendue à la Martinique et je n’ai pas voulu non plus changer de répertoire.
RMO : Combien êtes-vous d’artistes à chanter ce que vous qualifiez de chansons créoles authentiques ?
MDR : Au jour d’aujourd’hui,il y en a un bon nombre. Alors qu’il y a vingt ou trente ans, ils n’osaient pas. Nous étions très peu nombreux à chanter la chanson créole. Par exemple, Léonard Gabrielle a été une très grande chanteuse. Je me souviens, j’avais cinq ans lorsqu’elle venait prendre des leçons chez maman. Autrefois, rares étaient ceux qui apprenaient le solfège. Certains ne connaissaient pas une seule note de musique, mais ils jouaient comme de grands chefs. Quelqu’un comme Jenny Alpha s’est battue pour que la jeunesse reste créole. Elle est créole dans son âme même, lorsqu’elle parle créole. Elle apporte toute la culture créole.
RMO : Vous êtes la première à avoir créé un petit Conservatoire de la chanson créole…
MDR : En effet, ce petit conservatoire me tenait tellement à cœur. Il a vu le jour en 1995, au Centre Culturel Municipal de la Jonquière à Paris 17ème. Nous essayons de transmettre aux élèves l’essence de la musique traditionnelle. C’est d’ailleurs avec certains des enfants (Ndlr : Cynthia Anaïs, Laurent Michal, Sophie Rénia, Géraldine sorbon) du Conservatoire, que j’interprète la chanson Guyanaise des pêcheurs, de Victor Poteu-Geoffroy : »La Pli Ka Tombé ». Le sixième titre de l’album. Avec les enfants, la musique créole a encore de beaux jours devant elle…
RMO : Que représente pour vous la joie et la nostalgie créoles ?
MDR : C’est la joie de vivre et la nostalgie de son île et de ceux qui sont là-bas. C’est aussi mon père et ma mère.
Quelques exemples de la joie à la nostalgie :
Titre 4 : »Mam Zelle Ka Ou  Tini » (Fernande de Rivel). Mademoiselle, qu’avez-vous à pleurer ainsi ? quelle est la cause de ce chagrin ? Monsieur, ne me demandez pas. On m’a abandonnée et je ne pense qu’à la mort..
Titre 10 : « La Guadeloupéenne » (Albert Lirvat, Abel Beauregard).
Voilà le bateau qui accoste, avec tous les nouveaux arrivants au pays. Que disent-ils tous à peine débarqués ? Que la Guadeloupéenne est une jolie fleur, une vraie poupée en or, toujours élégante et bien habillée. Impossible de résister !
Titre 14 : «Adieu foulards » (folklore, arrangements Fernande de Rivel).
Adieu Foulards ! Adieu bijoux ! Adieu tous mes cadeaux ! le bateau s’éloigne avec mon amoureux. Hélas ! Il est parti pour ne plus jamais revenir…
Renée MENDY-ONGOUNDOU - AMINA