« Savoir écouter le blues » par Bulletin du Hot Club de France

Frémeaux publie deux CDs précieux à vocation pédagogique différant de la production courante et s’adressant aux amateurs désireux de parfaire leurs connaissances. Le plus souvent, le public apprécie la musique en ignorant les détails de sa structure et de son fonctionnement, mais l’amateur passionné cherchera à approfondir la question aussi l’initiation proposée est-elle bienvenue. D’autant qu’elle a été confiée à Jacques Morgantini qui explique toutes les nuances avec sa maestria habituelle. Frémeaux ne pouvait trouver meilleur guide. Bien sûr, il ne suffira pas de lire en vitesse les explications du très copieux livret et d’écouter de même les plages du CD pour devenir un spécialiste. Il faudra prendre le temps d’assimiler ces subtilités pour ensuite profiter pleinement de la musique en l’écoutant encore mieux. La musique et le chant permirent aux Noirs déportés en Amérique d’échapper quelque peu à leur funeste condition. Insensiblement, sous diverses influences, ils créèrent leur propre musique d’où se dégagea une forme privilégiée. Colportée par tradition orale, aucune règle n’étant fixée, chaque interprète pouvait l’adapter à sa guise. Ainsi, les faveurs de la communauté allèrent à une structure de 12 mesures bâtie sur une « séquence harmonique quasiment miraculeuse » : trois phrases de trois mesures, la première répétée une seconde fois avant une troisième en conclusion, schématiquement : AAB. Le tour d’horizon débute donc par cette forme classique de 12 mesures avec en exemples Baby don’t tell on me et Goin’ to Chicago blues de Count Basie chantés par Jimmy Rushing et Double Trouble Blues de Hot Lips Page. Dans chacune des phrases de 4 mesures, le vocal n’occupe pas toute la place, une réponse instrumentale vient le prolonger. Lorsque ces blues se déroulent sur tempo lent, on note qu’une pause intervient au cours de chaque phrase chantée : Train fare home de Muddy Waters, Hello Central de Lightnin’ Hopkins. So blues blues de T-Bone Walker, Harvard Blues de Count Basie chanté par Jimmy Rushing. Les blues à refrain apportent une variante : les quatre premières mesures (couplet) changent à chaque chorus, alors que les huit autres (refrain) se répètent. Souvent ces blues comportent des passages avec breaks solo  ainsi qu’on l’entend dans les titres venant en exemples : You ain’t so much a much et Bachelor’s Blues de Cousin Joe, The Lady in bed de Lips Page. En fait, le bluesman peut ne pas recourir aux breaks solo et chanter en continu : Just a dream de Big Bill Broonzy, Stop breaking down de Sonny Boy Williamson. Il peut aussi modifier l’importance du couplet à et le porter à 8 mesures : I’m not the lad de Washboard Sam, Railroad porter blues d’Eddie Vinson. Quelquefois, le blues adopte une structure de 8 mesures, la première phrase n’étant pas répétée (donc AB) selon le modèle de How long how long blues de Leroy Carr et Nobody in mind de Big Joe Turner. Là encore, la phrase B peut devenir un refrain comme dans le fameux Worried Life blues de Big Maceo. Sont également évoqués le blues de 16 mesures, le blues dédoublé avec Stump Blues de Big Bill Broonzy en exemple, et aussi les formes plus complexes tel Saint Louis Blues, de Bessie Smith, qui comporte trois thèmes : un classique blues de 12 mesures chanté deux fois, un thème de 16 mesures et un second blues de 12 mesures différent du premier. Le CD se termine avec Bottom blues d’Albert Ammons dans lequel apparaissent en solo Vic Dickensen et Hot Lip Page qui jouent le blues de façon empoignante alors que leur collègue Don Byas, pourtant éminent jazzman, ne possède pas l‘accent ni le feeling.
BULLETIN DU HOT CLUB DE FRANCE