Savoir lire la presse spécialisée

Dans deux longs articles parus dans Jazz Classique, M. Philippe Baudoin a fait part au public de nombreux désaccords avec M. Jacques Morgantini quant au contenu du livret d’accompagnement de Savoir écouter le Jazz et Savoir écouter le blues, réalisés par Jacques Morgantini. 
Frémeaux & Associés souhaite ici rappeler que ces deux ouvrages s’adressent à un public néophyte en technique musicale et sont destinés à délivrer une initiation à l’écoute de musiques complexes et savantes par le biais d’une vulgarisation. Par conséquent, il est du ressort même des livrets d’accompagnement rédigés par M. Jacques Morgantini, que de schématiser et d’utiliser l’angle d’approche le plus simple pour qualifier la structure des morceaux présentés : l’approche métrique, et non harmonique.


Jacques Morgantini nous écrit :
« Lorsque l’on veut vulgariser, il faut aller à la simplification, à l’efficacité, et se faire comprendre du plus humble de ses auditeurs. Sinon, le message ne passe pas.
Je n’ai pas voulu embrouiller les lecteurs du livret consacré au blues, en citant des dizaines de déviations du blues, comme le blues de 32 mesures type « Revolutionary Blues », ou encore les blues de 44 mesures. Pourquoi surcharger le texte et troubler le lecteur avec des « blues » très marginaux, dont on connaît à peine quelques exemples ?
Pour le découpage du blues de 12 mesures, tout le monde et les musiciens de blues bien sûr, parlent de la structure AAB (et non ABC), même si l’on sait qu’au point de vue harmonique le second A, lui, a des accords différents (sur les deux premières mesures) du premier A.
Vous savez que le premier A est répété dans le second A, même mélodie, même paroles, seul le troisième groupe de 4 mesures final (B), est différent, d’où la formule unanimement utilisée A A B !
Pour illustrer le « long-meter blues » de 24 mesures, j’ai choisi Stump Blues de Big Bill Broonzy, qui est un morceau remarquable dégageant une très grande émotion, tout en sachant qu’à certains moments Big Bill jouait des chorus de 21 mesures. Mais l’esprit du long-meter blues y est parfaitement respecté. On sait bien que les anciens bluesmen prenaient souvent, lorsqu’ils jouaient seuls où juste accompagnés par une basse ou une batterie, une grande liberté avec la métrique pure. Et ce morceau me semblait, côté intensité, et impact, très supérieur à d’autres versions d’artistes respectant scrupuleusement les 24 mesures. Cela dans le but de faire connaître aux auditeurs et lecteurs, la meilleure musique possible.

D’après l’article de M. Baudoin, j’aurais écrit que Rock-a-Bye-Basie est basé sur les harmonies de I Got Rhythm. C’est faux, car en lisant le livret, on voit que le paragraphe où il est question de Rock-a-bye-Basie et celui où je parle de I Got Rhythm, sont deux paragraphes différents qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre.
Pour I Got Rhythm les musiciens que j’ai fréquentés utilisaient bien le mot « the usual », c’est peut-être différent maintenant, question d’époque. Ce n’est pas pour autant que j’ai tort !
Pour Sidewalks of New-York de Duke, je n’ai jamais écrit que c’était un 32 mesures de forme AABA, comme l’affirme faussement Mr Baudoin, mais ABA’C, que de multiples auteurs simplifient (comme moi) en ABAB voire ABAC, de même Dusk, comme Stompy Jones, sont bien des AABA 16 mesures et Portait of the Lion, un ABAB 16 mesures…. C’est d’ailleurs l’analyse de MM. Massagli, Musateri & Volonté dans leur « Duke Ellington’s Story on records. 1932-1938 » et « « Duke Ellington’s Story on records. 1939-1942 », parus chez Musica Jazz
Mr Baudoin donne un découpage des thèmes  basé sur les harmonies du morceau, alors que je donne, pour une compréhension aisée, un découpage basé sur la métrique (le nombre de mesures). En utilisant la démonstration qu’il propose, il écarte et rebute la presque totalité des lecteurs (néophytes comme éclairés), qui n’ont aucune connaissance de l’harmonie. Connaissance qui n’est nullement nécessaire pour comprendre et aimer le blues et le jazz. Tandis que mes schémas, basés sur la longueur métrique des différentes parties des thèmes que je donne, sont immédiatement assimilables par tous.
Mr Baudoin relève avec une grande précision des points que je juge mineurs et qui ont été écartés par moi, non par incompétence ou ignorance, mais dans un but de clarification et de simplification pour le novice.
Pour ce qui est de la présence où non du banjo, si les bluesmen ont adopté très tôt la guitare, par contre dans les premiers orchestres de jazz, on utilisait principalement le banjo, beaucoup plus sonore. La vogue de la contrebasse à cordes s’est répandue, à la fin des années 20, grâce au travail et au rayonnement de pionniers comme Pops Foster (chez Luis Russell) et Wellman Braud (chez Duke Ellington). A leur suite, tous les bassistes abandonnèrent rapidement la contrebasse à vent (le tuba), qui convenait à la déambulation des orchestres de parade, pour la contrebasse à cordes, comme les John Kirby, Billy Taylor, Hayes Alvis, Walter Page… »