« Un parcours social et sémantique » par Jazz Magazine – Jazz Man

Le blues s’enracine à la fois dans la « sortie d’esclavage » qui permit à l’homme noir de s’affranchir en partie de son groupe socio-ethnique et dans les lois ségrégationnistes Jim Crow qui l’y fixèrent à nouveau peu après, rappellent Jean Buzelin et Jacques Demêtre, auteurs de ce choix d’enregistrements où transparaît la complexité d’un mode d’expression populaire qui ne s’assimile à aucun autre. Conséquence de cette contradiction vécue au jour le jour, ce n’est ni un chant de protestation directe, ni la plainte solitaire dont il peut revêtir l’apparence, mais une forme de poésie suggestive et résurgente, dont la musique stylise la charge émotive. Son contenu social et politique, objet de la présente anthologie, est apparent dès la première décennie de l’enregistrement commercial, les bluesmen ne négligeant aucun des thèmes de portée collective qui s’offrent à eux sous l’angle de la discrimination raciale : crise économique et grands travaux, guerre et conscription, monde carcéral, catastrophes naturelles, police ou fisc. L’autocensure, longtemps vitale, sécrète pathos et lyrisme, humour à double sens et dérision. Au début des années 1950 encore, alors que les milieux blancs libéraux cherchent à favoriser une folk music émancipatrice, Big Bill Broonzy grave la même chanson sous des titres différents des deux côtés de l’Atlantique. Une cinquantaine de faces, et de tout premier ordre, retracent ici un parcours social et sémantique dont on ne se lasse pas d’admirer les tours et les détours. Philippe BAS-RABERIN - JAZZ MAGAZINE - JAZZ MAN