« Un succès considérable » par Jazz Hot

« Voici le deuxième album de La Section Rythmique sous son nom. Nous avions déjà signalé l'excellence de la formation à l'occasion de leur précédent disque pour le même label (FA 8514, 2015). Ce trio remporte un succès considérable. Tout le monde le veut en concert (Leroy Jones, Leon Brown, Scott Hamilton, Ken Peplowski, Evan Christopher, Jason Marsalis, etc.) et en studio (Brad Child, 2017; Evan Arntzen, 2017; Patrick Artero, 2019). C'est le même principe, le même talent à s'adapter et le même niveau artistique que le Trio Georges Arvanitas (1966-1993) qui a accompagné les instrumentistes les plus variés en style de Buddy Tate à Robin Kenyatta. On souhaite à La Section Rythmique la même longévité, mais l'époque n'est pas la même. Et de l'amateur éclairé (qui ne faisait pas foule) on est passé, plus qu'à l'époque de Jean-Paul Sartre, au niveau du consommateur inculte pour le «fun». La célèbre formule du philosophe: «Le jazz, c'est comme les bananes, ça se consomme sur place!» prend aujourd'hui tout son sens. Et on aura beau varier les présentations (banane nature, banana split, banane en salade de fuit, etc.), gloutonner le même plat trop fréquemment présente un risque. Nous n'en sommes pas encore là, et pour notre bonheur, le trio montre présentement son versant mainstream-bop en compagnie de deux invités saxophonistes de luxe. Harry Allen est un des meilleurs ténors actuels. En juin 2004, Harry Allen fit une prestation éblouissante avec le Tuxedo Big Band (Marciac) ainsi que des étincelles à Ascona en combos divers avec notamment Warren Vaché ou Ed Polcer. Luigi Grasso au style parkerien volubile est aussi un favori des festivals. Le programme est bien choisi et met ces stars en valeur. Il débute sur tempo vif avec «You'n' Me» d'Al Cohn qui vaut notamment pour l'alternative entre les saxophonistes et le batteur, parfaitement à l'aise dans ce contexte (on le savait). La ballade «In the Still of the Night» d'Hoagy Carmichael démontre la complicité et la compatibilité instaurées entre les deux souffleurs. Leur qualité de son se marie bien. Dans la lignée du grand Wes Montgomery, David Blenkhorn lance «Birth of the Blues» sur lequel déboulent le ténor (à la sonorité légère presque d'alto) puis l'altiste avec virtuosité et inspiration. Le solo de Blenkhorn n'est pas moins remarquable (drumming bop de Guillaume Nouaux: accompagnement parfait et solo concis). L'exposé de «Day Dream» par Luigi Grasso est superbement «chanté» (délicat jeu de balais de Nouaux et sobriété des accords de Blenkhorn, des tenues d'Allen). Et le côté Ben Webster d'Harry Allen intervient ensuite pour combler le connaisseur. Belle alternative entre Blenkhorn et Nouaux dans «Wes' Tune». Magnifique sonorité de Sébastien Girardot au début de «One for Duke» et en solo! Ce beau thème de Johnny Hodges a été enregistré en 1960 par son sextet avec Ben Webster (il y a ici un clin d'œil à Herb Ellis chez David Blenkhorn). En 1950, Gene Ammons et Sonny Stitt avaient réalisé pour le label Prestige un solide «Blues Up and Down» qu'il est plaisant de retrouver-là (léger growl chez Harry Allen). C'est Sébastien Girardot qui expose le thème «New Orleans» (sur un drumming néo-orléanais) avant le développement alterné puis intriqué d'Allen et Grasso (drumming «conventionnel» sur tempo médium, à la cymbale). Excellent solo à la Wes Montgomery de David Blenkhorn dans «Step Right Up» d'Oliver Nelson. Le CD se termine par une ballade magnifique, «Ghost of a Chance» si magistralement jouée autrefois par Clifford Brown... mais c'est bien aussi pour l'alto (virevoltant) et le ténor (sensuel) pour ne rien dire de la guitare (sur tapis de balais et de discrètes rondeurs de basse). Un disque qui intéressera les fans de La Section Rythmique et les amateurs de saxophone. »
Par Michel LAPLACE – JAZZ HOT