« Une des plus belles voix noires du XXe siècle » par ABS mag

« Aretha Franklin nous a quittés en août de cette année. Elle était née à Memphis et avait 76 ans et la majorité s’accorde pour lui reconnaître une des plus belles voix noires du XXe siècle, voire LA plus belle, avec le talent ainsi que le charisme qui vont avec. Les hommages se sont succédés, il y en aura encore ainsi que des rééditions de ses enregistrements. Parmi ceux-ci, les gravures Atlantic Records sont les plus prisées, mais on aurait tort de négliger ce qu’elle a fait avant Atlantic, entre 1956 et 1962 et après Atlantic : ce coffret Frémeaux et Associés en apporte une preuve éclatante avec l’intégrale des faces gospel (Joe Von Battle, 1956) et les trois premiers LP Columbia (1958-1962). La période « Gospel » fut placée sous l’égide de son père, C.L. Franklin, un pasteur charismatique et célèbre, dont la firme J.V.B. publia un nombre considérable de sermons (pas moins de 73 disques 78 tours double face entre 1956 et 1959, régulièrement réédités) enregistrés dans son église de Detroit (New Bethel Baptist Church). Pianiste autodidacte à l’âge de dix ans, Aretha chanta dans la chorale de New Bethel et, à treize ans, elle en était la soliste préférée des fidèles. Comme chanteuse, elle bénéficia de l’exemple et des conseils d’amies de son père comme Mahalia Jackson, Clara Ward (qui entretint une liaison avec C.L. Franklin), Marion Williams, etc. Et elle grava son premier album, neuf gospels, à seulement quatorze ans ! Sa voix d’ado est déjà expressive et annonce les exploits vocaux à venir. On en retiendra, entre autres, une belle version (en deux parties) du Precious Lord de Thomas A. Dorsey (sous le titre Take My Hand Precious Lord), sa propre composition You Grow Closer, mais aussi Never Grow Old ou While The Blood Runs Warm. Sa rencontre à seize ans, en 1958, avec Sam Cooke, sera déterminante pour la suite de sa carrière et, en 1960, son père accepta, pour elle, le contrat proposé par John Hammond, le célèbre talent-scout de Columbia Records. Entre août 1960 et janvier 1961, Aretha enregistra quatorze faces produites par Hammond, douze avec le Ray Bryant Combo et deux dont les musiciens sont inconnus. On en retiendra les superbes Sweet Love, un Won’t Be Long – à la Ray Charles – sans oublier le trépidant Are You Sure et une très belle version rythmée de Trouble In Mind. Mais d’autres faces méritent le détour : Today I Sing The Blues, le jazzy Right Now qui swingue à mort, un Maybe I Am A Fool qui tangue comme un vaisseau ivre, etc… Le deuxième CD du coffret rassemble deux LPs Columbia de douze titres chacun : « The Electrifying Aretha Franklin » (mars 1962, produit par J. Hammond) et « The Tender, The Movin’, The Swingin’ Aretha Franklin » (Août 1962 ; prod./arr. Robert Mersey). Par manque de flair et de réalisme, Hammond tout comme Mersey ne sentent pas que les temps changent, que la musique soul est en train de faire une percée irréversible et qu’Aretha Franklin a tout ce qu’il faut pour prendre le train en marche. Elle n’a pas besoin de violons, de cuivres au style démodé ni d’arrangements sophistiqués, c’est pourtant tout ce qu’on lui offre chez Columbia. Son génie hors norme transcende la lourdeur et le style des arrangements, quasi partout, mais en particulier dans les bien enlevés Rough Lover, Ac-Cent-Tchu-Ate The Positive, Lover Come Back To Me et I’m Singing On Top Of The World, dans Nobody Like You, I Told You So, Rock-A-Bye Your Baby With A Dixie Melody ou encore Exactly Like You, comme dans son hommage à Billie Holiday (God Bless The Child). Sa puissance vocale se joue avec aisance des murs de cuivres et de violons (Just For You, Try A Little Tenderness, Look For The Silver Lining). il s’ensuit que quasi toutes les autres faces du deuxième CD sont aussi agréables à écouter. Adieu Columbia, bonjour Atlantic pour la gloire. »
Par Robert SACRE – ABS MAG