« Une heure de jubilation pure » par Libération

« «Pour faire pousser l’gazon et pour faire cuire les nouilles, pour faire mousser le savon et pour les hommes-grenouilles», y a pas le choix : «Faut d’leau». Cuisine au Jazz, le dernier CD de l’Orphéon Célesta, le quartet de scatteurs-musiciens fondé en 1986 par Emmanuel Hussenot ouvre sur l’irréfutable considération. Commence alors une heure de jubilation pure, laquelle se termine inévitablement dans la frénésie style film des Marx Brothers. S’enchaînent les pastiches loufoques de musique populaire, s’inspirant des fanfares de La Nouvelle-Orléans, des crooners américains, des gospels, des rythmes africains et des bandas de l’Amérique latine. L’Orphéon Celesta serait comme le music-hall pour les enfants, et le Théâtre de Guignol pour les parents. Je les avais vu au Théâtre Clavel, à côté des Buttes Chaumont, en avril 2003. La prestation, ponctuée par les hourras, avait embarqué le public! Le carré de boute-en-train nous avait gratifié de sketches tordants sur Quasimodo, sur Zorro, sur Sinatra. Nous avions compati sur un rhinocéros qui gémissait le blues, encouragé un dompteur trop mou, enfin entonné un Ol’Man River qui ébranla les tréteaux ! Dans les spectacles de l’Orphéon, les petits ne veulent plus s’arrêter de défiler en reprenant à tue-tête Oh When the Saints en suivant l’hélicon. Quelle félicité ! Du reste, le plus souvent, une figure du jazz classique rejoint le groupe, comme en 2008, le saxophoniste fou Daniel Huck. Le Parisien swinguant déjante comme un illuminé le morceau Clarinette Marmelade. Le prix Sydney Béchet de l’Académie du Jazz a couronné le travail de l’Orphéon. Les paroles, sous le signe de la loufoquerie pure, du niveau d’un Francis Blanche, ou d’un Boris Vian, chantés dans l’esprit des Frères Jacques ou d’un Henri Salvador, assurent les éclats de joie partagée. Dans les années 90, la formation s’était fait un nom avec La Salsal' de Bain, un pur chef-d’œuvre de subtilité et de fantaisie. Dans Cuisine au Jazz, l’Orphéon retrouve la formule magique qu’entame l’éclaboussure garantie indélébile composée par M. Hussenot, Flic Flac Faut d’Leau. Il n’est pas certain que l’eau suffise à enrayer le feu d’artifice allumé par leur festival. Suivent les pastiches (L’Internationale, Pocket Basie), les détournements (Une Chanson Douce, d’Henri Salvador), les contre-pieds (Les Fleurs sont Moches), les allitérations (Chat Bada, Mirliton), etc. Le tout gratiné de calembours à chaque coin de strophe. Ceux qui savent que l’esprit français se marie à merveille avec le jazz de la Louisiane tomberont sous le charme. »
Par Bruno PFEIFFER - LIBERATION