« Une musique agréablement mélodique » par Opéra Magazine

« 22 octobre 1962. Trois jours avant la première officielle, le Tout-Paris se presse au Théâtre des Champs Élysées : le rideau va bientôt se lever sur L’Opéra d’Aran, deux actes, un livret de Jacques Emmanuel, Louis Amade et Pierre Delanoë, mais surtout une musique de Gilbert Bécaud (1927-2001). Combien sont-ils, dans la salle, à penser qu’un auteur de chansonnettes n’a pas à se frotter au domaine réservé de l’art lyrique, et à arborer un air ironique en espérant bien assister à la chute du présomptueux ?
Mis en scène par Margarita Wallmann, le spectacle n’est pas le triomphe espéré et vaut à ses producteurs des pertes financières sévères ; il n’attire pas le jeune public escompté, qui commence à se détourner d’un genre déclinant, avant le sursaut des années 1970. La critique, quant à elle, est partagée, les tenants de l’avant-garde tirant, bien sûr, à boulets rouges sur la partition à une époque où l’opéra n’était pas vraiment en odeur de sainteté. Pourtant, l’ouvrage continuera sa carrière, en France et à l’étranger. […] Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis la création de L’Opéra d’Aran. Les querelles sont désormais inutiles. Reste une musique agréablement mélodique, dont le lyrisme généreux s‘épanche en longues phrases, soutenant une intrigue passablement mélodramatique, capable de toucher immédiatement des spectateurs n’en demandant pas plus. Il n’y a pas là de quoi fouetter un chat, mais on comprend aisément qu’un tel travail ait pu, en son temps, être taxé de passéiste. La distribution n’arrange pas les choses : avec Christiane Stutzmann, Alain Vanzo, Michel Dens, on a connu en province des interprétations autrement mieux équilibrées. Il faut se contenter, ici, des excès véristes de Rosanna Carteri et des limites vocales d’Alvino Misciano. Peter Gottlieb et Roger Soyer sont là pour sauver la mise, de même que le toujours impétueux Georges Prêtre. En bonus, deux brèves interventions de l’auteur, présentant son projet à Bruno Coquatrix (alors directeur de l’Olympia) et en fredonnant quelques phrases. Mais pour donner un aperçu complet du Bécaud « sérieux », pourquoi ne pas avoir réédité aussi sa cantate L’Enfant à l’étoile, que Pathé Marconi avait gravée en 1960 ? C’eût été un complément heureux à ce qui, aujourd’hui, ne déchaîne plus les passions mais demeure une curiosité. »
Par Michel PAROUTY – OPERA MAGAZINE