Une relecture marxienne d'un poncif libéral par Luc Ferry par Joël Jégouzo

"Ne cachant pas son admiration pour celui qu’il qualifie de plus grand philosophe politique du XIXème siècle, Marx reste, pour Luc Ferry, le théoricien le plus précieux qui soit pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. En trois Cd-rom Luc Ferry fait ainsi le point sur les théories marxiennes, à sa manière, claire intellectuellement et exprimée non sans malice ni sans jamais occulter son désaccord quant aux conséquences politiques, surtout, que Marx tire de ses analyses.
Trois Cd donc, abordant chacun trois thèmes d’analyse résumant avec économie la pensée marxienne et sa fortune en France : le premier sur la théorie des crises et des révolutions, le second sur l'analyse des idéologies, le dernier autour des critiques formulées à l’encontre de Marx, essentiellement libérales et socialistes.
Si le troisième Cd-rom paraît, tout comme le second, plus conventionnel, récapitulant un peu tout ce que l’on sait déjà – mais ce n’est pas le moindre de ses mérites que de le faire -, en revanche, le premier cours, lui, est tout à fait intéressant, sinon surprenant, tant Luc Ferry y construit un discours à rebours de ceux que l’on profère habituellement dans son camp politique.
Passons sur les lectures libérales reprises ici quant aux crises du capitalisme, dans lesquelles Marx voyait des contradictions sans issues quand les libéraux, eux, n’y ont vu qu’une respiration normale du capitalisme, n’empêchant nullement sa poursuite. C’est dans son approche de l’analyse marxienne de la plus-value que Luc Ferry lève les plus belles interrogations. On sait que l’interprétation courante faite de la plus-value par les libéraux aura été d’affirmer que la théorie des variations des prix était liée quasi exclusivement à l’offre et la demande, quand Marx, lui, défendait l’idée que ce qui faisait la valeur des marchandises, c’était le temps de travail social moyen cristallisé en elle. Idée reprise, décryptée et réaffirmée par Luc ferry, l’exposant de fait, lui le libéral, à dire deux choses peu agréables à son camp : d’une part que la loi dite de l’offre et la demande explique uniquement comment l’argent change de poche, et non comment la valeur est créée dans la société. Au passage, voilà qui conduit Luc Ferry à affirmer que la spéculation financière repose sur la loi de l’offre et la demande et qu'en conséquence, elle fragilise les richesses de la société –Luc ferry n’hésite pas à ce propos de parler de vol-, même si la spéculation constitue une source de financement nécessaire de l’économie réelle. D’autre part, ce temps de travail social évoqué par Marx montre assez que légitimement, martèle Luc Ferry, les négociations sur le salaire sont par essence ouvertes dans la société capitaliste, qui engendre de fait une réelle lutte des classes, au terme de laquelle l’ouvrier peut très bien exiger que soient retenus de nouveaux besoins dans la fixation de son salaire, comme de vivre dans le luxe de la culture réservées aujourd’hui aux élites, comme condition de son existence, et que non seulement il est en droit de le négocier mais tout aussi bien, en devoir de l’exiger, pour tirer par exemple la société vers le haut. La lutte pour la fixation du salaire ne peut ainsi prendre place dans le cadre d’une réflexion sur l’offre et la demande, mais dans celui d’une réflexion quant à la valeur du travail prise au sens de Marx, et donc quant à la question de la redistribution de la plus-value, à savoir : ce en quoi une société veut croire, et investir."
par Joël JEGOUZO - BLOG MINISTRE DE LA CULTURE