« Voués à se rencontrer » par Aujourd’hui Poème

André Velter est une des voix les plus affirmées de la poésie contemporaine. Il se bat sur tous les fronts pour promouvoir la poésie, à France Culture en tant que producteur d’émissions poétiques, au théâtre du Rond-Point, chez Gallimard à la tête de la collection de poche « Poésie/Gallimard » en tant que directeur de revue. Couronné par le prix Mallarmé pour « L’arbre seul » (Gallimard), Goncourt/Poésie 1996 pour son recueil « Le Haut Pays » (Gallimard), le poète est aussi un passionné de haute montagne, des cultures orientales et, plus particulièrement, de la culture Tibétaine. La plupart des textes de ce dernier recueil ont d’ailleurs été écrits dans l’Himalaya où il se rendait chaque année durant plusieurs mois. Au même moment, dans ce haut pays aux pentes inaccessibles, une jeune alpiniste française y gravissait les sommets les plus élevés du monde. Elle aussi défendait la cause tibétaine et, passionnée de poésie, emportait avec elles des livres de poésie qu’elle lisait le soir au bivouac. Les vers d’un poète qu’elle ne connaissait pas l’avait en particulier fascinée : « L’espace est un bandit d’honneur / c’est à lui que tu penses / quand tu suis le galop de ton cœur ». L’auteur en était André Velter. Ces deux êtres étaient voués à se rencontrer. Il se rencontrèrent, mais non pas dans l’Himalaya où leurs chemins avaient dû se croiser, mais à Paris. Ce fut vingt-trois mois d’amour fou jusqu’à ce jour fatal de Mai 1998 au cours duquel une avalanche engloutit Chantal Mauduit sur les pentes du Dhaulagiri, le septième sommet, qu’elle ne vaincrait jamais comme elle l’avait fait pour les six précédents. Elle avait trente quatre ans. Quelques jours auparavant, sur les contreforts de cette même montagne, elle s’était imprégnée d’un poème inédit que lui avait confié André Velter, « Le calligraphe du vide » avec, en particulier, cette strophe : « Il a chanté les mots / de dessous la mémoire / qui donne à la beauté / son aile toujours battante ». Dans « Le Septième Sommet », véritable tombeau poétique érigé pour « la mariée du ciel », pour « la plus conquérante des dépossédés » comme il la nommera, André Velter écrit : « Entre ces deux poèmes – celui du 24 Mai 1996 et celui de Mai 1998 -, la voie funambule d’un amour miracle qu’elle appelait « sauvage », « solitaire », « sans fin ». Et que je continue de nommer ainsi, en toute déraison, et aliénable désir d’elle ». Ce livre de deuil dans sa retenue pudique, la transparence de son écriture, ses mots dépouillés, est d’une beauté pathétique. Le chant s’y organise pour s’opposer au néant, comme dans l’un des plus déchirants poèmes du recueil « Force de mots » : « Je dois à la poésie / La grâce de ton amour. / Je dois à son pouvoir l’offrande de ta voix, / une passion fabuleuse / et nos emportements. / (…) jamais je ne laisserais dire / que la magie du poème / ne peut pas tout traduire / ni que la poésie / n’enchante pas la vie. »
Bernard MAZO – AUJOURD’HUI POÈME