« Une source de réjouissance inépuisable » par Couleurs Jazz

« Voici un disque fortement générationnel : les membres de ce quartet sont tous des trentenaires nés à quelques mois d’écart dans les années 80. Génération Mitterrand, penseront certains, mais nous ne sommes pas ici pour parler politique, ni même politique culturelle tant ces quatre gaillards s’ébattent dans une esthétique qui est loin du politiquement correct ou de la soumission aux codes officiels.
Baptiste Herbin continue ici à manifester sa capacité à se couler dans différentes niches stylistiques, que ce soit en sideman ou en leader (co-leader dans le cas présent). (…) Il est devenu un des piliers de la jazzosphère hexagonale, un de nos altos les plus vivaces et inspirés, juste à côté de ses aînés Géraldine Laurent ou Thomas de Pourquery. Sur le présent CD il compose une bonne partie des thèmes et embouche non seulement son alto flamboyant mais un soprano à la sonorité magnifiquement fruitée. C’est donc du Herbin de première classe que nous sert cet éminent souffleur.
Je connais moins Richard Manetti, l’autre co-leader de ce quartet de première bourre mais il ne lui aura pas fallu plus de quelques accords ou d’un ou deux chorus en single lines pour me convaincre qu’il est un sérieux client, d’autant plus qu’il s’octroie la majorité des compositions et nous offre même une courte plage d’une beauté sereine et épanouie en solo absolu ! Manetti est un « fils de » mais s’il se consacre au même instrument que son père, le guitariste Romane, il est loin de se cantonner comme ce dernier à l’idiome manouche. Manetti est aussi à l’aise dans ce style que dans le bebop ou la fusion : une polyvalence qui fait de lui un oiseau rare sur l’instrument dont il joue de façon magnifique, alternant solos coruscants et véloces et accords savoureusement mélodieux.
Nicolas Charlier est lui aussi un « fils de » et, comme son père André Charlier, il a choisi de s’exprimer sur la batterie dont il fait un usage aussi polyvalent que son géniteur sans pourtant lui ressembler. Nicolas Charlier possède sa voix propre et, comme Manetti, il est aussi à l’aise dans le binaire que dans le ternaire, affichant dans les deux styles un jeu à la fois percussif et mélodique du meilleur aloi.
Jérémy Bruyère, quant à lui, se cantonne ici à la basse électrique sur laquelle il est aussi à l’aise et convaincant que sur la contrebasse. Sa sonorité d’une rondeur délectable et son phrasé souple et tonique sont des atouts majeurs de ce quartet dont il est le pilier harmonique et rythmique.
Soulignons au passage que le bassiste et le batteur contribuent chacun une composition à ce quartet dont l’approche est éminemment collective.
Au total nous avons là un disque de haut niveau, d’une beauté et d’une resplendissante diversité stylistique où l’interplay entre les protagonistes est une source de réjouissance inépuisable pour l’auditeur ravi et comblé qui ne leur reprochera que la kitschissime pochette de leur formidable opus. »

Par Thierry QUENUM – COULEURS JAZZ
DIRECTION COLLECTION : ALAIN GERBER, TEXTE : JEAN-PAUL RICARD, PRODUCTION DÉLÉGUÉE : JEAN BUZELIN