« Une sonorité différente » par les Etudes littéraires africaines

Depuis quelque temps, des audio-cassettes ou audio-livres s’offrent comme alternative, voire concurrencent les livres « traditionnels » imprimés. Les libraires en proposent des rayons entiers et, dans les grandes villes, on trouve même des boutiques spécialisées dans ce nouveau média. Ainsi devons-nous, en tant que chercheurs et amateurs de littérature, nous poser la question suivante : qu’apportent ces nouveaux medias et formes de présentation en termes de compréhension et de découverte, quels nouveaux aspects révèlent-ils par rapport au livre imprimé ? A priori, il faut distinguer deux cas : l’œuvre littéraire est-elle lue par l’auteur lui-même ou par un comédien ? S’agit-il de textes littéraires au sens étroit (poétiques, fictionnels) ou bien de discours tels que des interviews où l’auteur répond à des questions sur sa biographie et ses œuvres. Le seul fait de pouvoir entendre la voix d’un auteur marque une rupture par rapport à des temps antérieurs. Qu’on se souviennent des nombreux témoignages écrits sur la voix de Stéphane Mallarmé, sa sonorité, son charme envoûtant perçu par tous les visiteurs des « mardis » du maître, au 89 de la rue de Rome. Or c’est précisément Mallarmé qui a réfléchi sans cesse au caractère matériel du poème imprimé et à ses composantes : les lettres, les mots, les phrases, les pages, le livre, les illustrations, la relation entre le noir des éléments imprimés et la blancheur de la page vierge. Dans le cas du poète Léopold Sédar Senghor, dont l’œuvre prend forme à travers un certain nombre de recueils depuis 1945 jusqu’à sa version définitive, l’œuvre poétique (1990), la présentation orale par le poète (devant quelques amis, mais aussi devant un grand public) a toujours existé avant, parallèlement et après la publication du texte imprimé. Dans le paratexte de bon nombre de poèmes se trouve des indications en rapport avec des instruments de musique ou des genres de la poésie orale africaine ; c’est même systématique dans le recueil Chants pour Signare. Mais il faut se demander ce que des indications comme « guimm pour trois kôras et balafong » peuvent signifier d’autre qu’une certaine « couleur », telles des indications comme « grave » ou « sostenuto » dans la musique classique européenne. Ou encore comment faut-il s’imaginer la mise en oeuvre  de l’indication « pour grandes orgues » dans la « Prière de Paix », dédiée à Georges et Claude Pompidou ? Pour un public européen, l’accompagnement (par tam-tam ou kôra) d’une récitation de poèmes de Senghor par un « griot » ouest-africain peut créer une Stimmung ou un feeling africain, mais aussi occulter d’autres dimensions du texte. La réception par l’oreille ne remplace pas la lecture d’un poème. Elle fixe la perception du texte d’une façon précise qui peut varier selon la date de l’enregistrement . La voix de Léopold Sédar Senghor récitant « femme noire » n’est pas la même dans les années 60 et dans les années 80 ; le discours de 1960, quand il devient Président du Sénégal, a une sonorité différente du discours où il annonce son retrait de la présidence de la République à la fin de 1980. Janos RIESZ – ETUDES LITTERAIRES AFRICAINES