« Bienheureuse initiative » Par Le Figaro

« Sous les auspices de la Mairie de Paris, la Discothèques des Halles vient tout juste, à la bienheureuse initiative de son conservateur, Michel Suneux, d’éditer, sous la savante houlette de Didier Roussin — musicien professionnel émérite,  par ailleurs auteur, avec François Billard, d’un ouvrage passionnant, Histoires d’accordéons — et de Noël Hervé, directeur artistique de la compagnie Harmonie, une remarquable anthologie –compilation : Accordéon : Musette-Swing 1913-1941. Un double album que les nostalgiques (ils sont légion), les amoureux, les zélateurs…Intégristes de la « zizique » dispensée depuis près d’un siècle par les virtuoses de l’instrument le plus populaire qui jamais fut (il l’est encore) au monde (oui !), doivent se procurer d’urgence. Ce « must » est trouvable, dans votre quartier, à chaque coin de rue, n’en doutons pas ! Rarement à notre humble ignorance, choix rétrospectif a été mieux pratiqué, même si par mégarde (dûment préméditée). Pour « mieux évoquer les séries » du bal-musette, les sélectionneurs, bien aidés en leur méritoire entreprise par la « crème de la crème » des collectionneurs français, ont volontairement (mais coupablement bousculé la sacro-sainte (elle ne l’est jamais trop !) chronologie des rarissimes modulations qu’ils proposaient à la gloutonnerie de nos « oreilles ». Et aussi (deux fois, héla !) négligé (pour quelle raison inexcusable ?) de nous informer avec une précision maniaquement discologique sur les origines et les dates des enregistrements – 50 ! Comptez-les ! 50 ! — des titres admirablement « repiqués » par le magique savoir-faire de Lionel Risier (notre Robert Parker ?), grand manieur de cires fragiles, gorgées à pleins sillons d’émouvants souvenirs. Une plaquette, au texte concocté par Didier Roussin, nous rappelle, à coups de soufflet lyrique, en jalonnant de boutons de nacre comme autant de pierres blanches, l’histoire pittoresque de ce « malentendu du bourgeois », parce que « trop vagabond », « inventé » paraît-il, en 1863 par un facteur d’orgue italien de Castelfidardo. Charly Plaigneau n’a-t-il pas affirmé dans son merveilleux bouquin malheureusement épuisé L’accordéon joue et gagne (J.Dagnan Editeur, Paris 1972) que l’accordéon était tout d’abord destiné à suppléer, dans les églises de maigres ressources, aux orgueilleuses et monumentales « commodes » chère à Jean-Sébastien Bach ?
De courtes biographies des artistes « invoqués » — à quelques exceptions près, tous de souche italienne, auvergnate ou belge ! — ont la bénéfique sagesse de nous en apprendre cependant « beaucoup » sur les obscures carrières de ces « sans grades », dont la dextérité, les capacités d’invention, d’improvisation (ah ! ces variations !), et aussi l’indispensable force musculaire (un accordéon, ça,’est pas léger, savez-vous ?) réjouirent des générations de publics qui n’allaient point chercher midi à quatorze heures pour se distraire honnêtement. Et puis, pour nous ravir, Didier Roussin a su forger cette phrase, à la fois bien venue et définitive : « Oui la rue de Lappe et le quartier de la Bastoche furent pour nos ancêtres et « Basin Street » et le « French Quarter » néo-orléanais » S’il vous plaît, ne vous lassez pas de rejouer sur votre lecteur laser Mandolinette, photographié en 1913 par son compositeur Charles Feguri (1879-1930), et ce, bien sûr, en vous répétant, amateurs endurcis de jazz ancien et de musette antique, qu’un autre Charles (Charles «  Buddy » Bolden, 1877-1931), natif de La Nouvelle Orléans, avant que de devenir vers 1900, le premier roi rag-timant du cornet à piston, tâta des années durant de la « boîte à frissons »… Jazz et Java, même combat ! »
Jean-Christophe Averty — LE FIGARO