« C’est la mémoire du musette » Par l’Humanité

« Il avait l’humilité de ses gens de la rue, lumineux, qui marchent sous le soleil de leur dignité et ne courbent pas l’échine. Il nous a quittés avec trop discrétion. Didier Roussin, guitariste unique en son genre (régulier compagnon musical de Jo Privat), était amoureux d’un autre instrument (l’accordéon) et figurait parmi les plus éminents connaisseurs de musette. Il a été emporté par un cancer le 5 juillet 1996, à l’âge de quarante-six ans. Nous l’avions programmé à la Fête de l’Humanité dans le cadre de l’espace jazz (1). Son groupe maintient sa  participation, car il tient à rendre hommage à celui qui était aimé autant pour ses qualités humaines que musicales. « C’est la mémoire du musette qui s’envole , parce qu’il en était le seul véritable historien, nous rappelle avec émotion Franck Bergerot, journaliste et spécialiste du genre. C’est une médiathèque anéantie, celle qu’il avait rassemblée autour de lui : disques (du 78 tours au Cd), livres et correspondance. Elle est réduite au silence maintenant qu’il n’est plus là pour en commenter le contenu. Puisse-t-elle ne pas être dispersée aux quatre vents. Madeleine Juteau, sa compagne et collaboratrice, en possède encore les clés à travers les nombreuses notes laissées par Didier, déchiffrables par elle seule, dans le cadre d’une histoire du musette à laquelle ils travaillaient ensemble depuis plusieurs années. » Franck Bergerot avait sollicité Didier Roussin comme conseiller artistique, lorsqu’il s’était attelé à la réalisation de « Paris Musette » (La Lichère Night and Day), remarquable (et indispensable) album qui a incontestablement contribué au renouveau de ce style  (et dont nous avion salué la sortie dans nos colonnes). Roussin a travaillé avec le journaliste François Billard au livre « Histoire d’accordéon » (éditions Climats), un ouvrage de référence également ; traitant de l’accordéon à travers son histoire et ses représentants dans le monde entier. Dès sa tendre enfance il a baigné dans la musette, grâce à son oncle, notamment, qui jouait de l’harmonica et que le garçonnet a commencé à accompagner lors des réunions familiales. Adolescent, Didier s’est accroché à sa  passion malgré les rigolades de ses copain qui trouvaient le musette ringard, et auquel ils préféraient le rock’n’roll. Il s’est toujours moqué des modes, des ragots et des égards suspects. Il se revendiquait de la rue, dont il possédait à la perfection, le langage coloré. Une science savoureuse dont on retrouve la substantifique moelle dans « l’Argot des musiciens » (éditions Climats), livre écrit avec Madeleine Juteau et Alain Bouchaux. Didier Roussin était curieux de toute musique et avait une culture d’un incroyable éclectisme. Il pouvait jouer aussi du blues, du be bop, des standards manouches. Dans le mensuel « Trad Magazine » (2), il déclare : « Je pense qu’un de mes grands préférés à l’accordéon, bizarrement, c’est Bernard Lubat. Il ne s’affirme pas comme un accordéoniste. C’en est un à la base, mais il a tellement laissé l’instrument de côté que, quand il le reprend, il est désintoxiqué ; donc, en fin de compte, il en fait quelque chose qu’un autre accordéoniste ne peut faire ; c’est très bizarre. Lubat, c’est le seul qui ait réussi à sortir du schéma accordéonistique : c’est peut-être ce qui m’excite le plus. »
Par FARA.C — L’HUMANITE