« Une formation unique, à la sonorité hors du commun » par Citizen Jazz

« Sept années après l’enregistrement de « Songes, Silences », Didier Levallet recrée un quintet d’exception. Si le socle rythmique, composé de lui-même et du batteur François Laizeau, reste le même, et si la trompettiste Airelle Besson est toujours présente, deux nouvelles personnalités rencontrées ou retrouvées entre-temps viennent compléter l’effectif : Sylvaine Hélary aux flûtes et Céline Bonacina aux saxophones. Comme il l’a montré au fil de sa carrière, par exemple lorsqu’il dirigea l’ONJ entre 1997 et 2000, Didier Levallet a la singulière faculté de mêler les générations et les personnalités, et ce pour aboutir à une grande homogénéité musicale. Voix croisées atteint ce fragile point de stabilité en faisant cohabiter une écriture d’une précision chirurgicale et de vastes espaces d’improvisation. Ici, les thèmes sont fréquemment exposés par les trois voix mélodiques avec un timbre inouï – au sens propre –, comme sur le morceau d’ouverture, « Antigone’s Choice », dont la construction est toute théâtrale : la douceur initiale, illustrée par de lentes nappes mélodiques, fait place à un ostinato rythmique dont la signature à cinq temps permet à Airelle Besson de sortir de ce cadre structuré pour laisser libre cours à ses digressions improvisées. Néanmoins, la composition et les arrangements savent parfois s’effacer discrètement pour révéler une ouverture imprévisible (« Candide »). Lorsque, à mi-album, l’oreille se familiarise avec ce type d’écriture, Levallet sait la surprendre à nouveau avec « La jetée », be bop survitaminé parcouru de riffs nerveux où Céline Bonacina peut se lancer dans un mémorable solo de baryton, comme si sa vie en dépendait. Rares sont les disques qui procurent simultanément tension et apaisement, et où se côtoient d’aussi près l’ordre et la liberté, l’urgence et la quiétude. Cette formation unique, à la sonorité hors du commun - notamment grâce au contraste entre les saxophones alto et baryton, d’une part et d’autre part les flûtes graves -, permet au contrebassiste de se consacrer une fois de plus, grâce à la pierre philosophale de la composition, à l’alchimie dont il a le secret. »
Par Arnaud STEFANI – CITIZEN JAZZ