« Faire naître d’intéressantes réactions » par Journal des Instituteurs

Mary Godwin eu pour mère Mary Wollstonecraft, qui mourut quelques mois après la naissance de sa fille. Son père, William Godwin, grand lecteur des philosophes français, était romancier. Parmi ses œuvres, citons l’étonnante histoire de Caleb Williams, peu connue des lecteurs français. Connaissent-ils davantage The Wrong of Woman, écrit en 1798 par Mary Wollstonecraft, manifeste sur l’oppression que les femmes du XVIIIe siècle commencent à refuser ? Avec de tels parents, il n’est guère étonnant que Mary Godwin, devenue la seconde épouse du poète P.B. Shelley, se lançât dans l’écriture. L’origine de « Frankenstein » est un défi proposé par Byron, alors en villégiature avec le couple Shelley en Suisse : raconter une histoire de fantôme. Le roman bouleversant de cette jeune femme de dix neuf ans est remarquablement adapté par C. Colombini et B. Goldenstein, et servi à la perfection par tous les acteurs, au premier rang desquels R. Renucci et D. Lavant, la créature. Il ne faut pas craindre de faire entendre aux enfants, dès le CM1, cette adaptation. Les scènes horribles de la mort de William et de la pendaison ordonnée de la jeune Justine trouvent leur fatale explication par la bouche de la créature. Ces explications sont elles mêmes susceptibles de faire naître d’intéressantes réactions. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer l’apprenti sorcier qu’est Frankenstein, en toute innocence (ou presque !). Les enfants comprendront de quelle étoffe est cette créature, par l’émouvant récit qu’elle fait, lorsqu’elle raconte son observation de la famille des bois, dont le père est aveugle. C’est là qu’elle atteint sa véritable humanité (cette incroyable sensation « moitié plaisir moitié chagrin »), acquérant le langage, apprenant les habitudes des hommes. Mais sa tentative sera ruinée par son apparence physique, si monstrueuse. Séquence après séquence, les enfants peuvent entrer dans cette histoire, émettant des hypothèses, se prononçant sur les issues, sur le juste et l’injuste, imaginant les réactions des uns et des autres. La leçon qu’ils en tireront, les émotions qu’ils connaîtront leur seront précieuses : à l’aune de celles-ci, le monde ne leur apparaîtra plus divisé simplement ; ils comprendront les enjeux de l’acceptation des différences.
JOURNAL DES INSTITUTEURS