« Revue de détail en forme de voyage intercontinental » par Télérama

Dans Télérama, en 1999, le maître de l´accordéon diatonique Marc Perrone s´enflammait : « Le soufflet se gonfle, se dégonfle, se tend. Il y a quelque chose qui est directement lié au « palpitant » de celui qui en joue. C´est une espèce d´interface entre l´intérieur et l´extérieur du corps. On peut étirer les sons, les raccourcir, on sent la musique entre ses deux mains, comme une matière vivante. » Fieffé bourlingueur, l´accordéon a essaimé ses flonflons tout autour de la planète. Il trône dans les bals pygmées, en pleine forêt camerounaise, où se dansent la valse et la mazurka. Il fait escale à Zanzibar, où sa java allume les langueurs épicées du « taarab ». Il trimbale ses plis et ses boutons jusqu´en Chine, où, fabriqué à la chaîne, il fait l´objet de cours d´initiation à la télé et accompagne… les défilés militaires. A l´encontre de la guitare et du piano, symboles de la bourgeoisie occidentale, le très prolétaire « dépliant à bretelles » fut même encensé par la Révolution culturelle. Scénario inverse en Europe, où le « piano du pauvre » a eu les pires difficultés à se remettre du soupçon de ringardise qui lui collait aux basques depuis l´explosion yè-yé. Il a repris du galon grâce aux Rita Mitsouko ou à Bernard Lubat. Ce ne fut pas sa seule bataille. Dès les années 30, un siècle après son invention par un Viennois, il s´est trouvé aux prises avec les tenants de la tradition, qui lui reprochaient d´écraser les vielles et les cornemuses sur son passage. « Pas cher, pas lourd et toujours juste », claironnaient les anciennes réclames. L´accordéon fut le premier instrument de l´ère industrielle. Construit en série, il s´est répandu de manière fulgurante grâce au train, à la sidérurgie, aux manufactures. Trimbalé dans les bagages des marins, des missionnaires et des colons, il a fécondé quelques-uns des genres musicaux les plus guincheurs. Revue de détail en forme de voyage intercontinental, du musette parisien au mbaqanga sud-africain, en passant par le forró brésilien et le funana capverdien.
Musette, chez nous :
Dans les « cafés-charbon » du début du XXe siècle se rencontrent les immigrés de l´époque, Auvergnats et Italiens. Le musette, le « folklore parisien » est né du télescopage de la cabrette des uns, et de l´accordéon des autres. Leur blues à trois temps se danse en couple, au grand dam des moralistes et des pudibonds. Des bas-fonds de la rue de Lappe (où « les filles de joie épousent des hommes de peine », disait Jo Privat) aux guinguettes du bord de Marne, l´accordéoniste est le roi de la fête populaire. Gouaille et poésie sont au rendez-vous, plus tard immortalisées par le cinéma.
Eliane AZOULAY – TELERAMA