Une sacrée bonne nouvelle! par Chorus

La réédition des chansons enregistrées par Gilles et Julien dans les années 30, est une sacrée bonne nouvelle! Voilà enfin de quoi juger sur pièce, de quoi convaincre les sceptiques. Le cercle des géniteurs de la chanson moderne ne se réduit pas aux seuls noms repris par les grands médias; Tranchant et Trénet, Mireille et Jean Nohain ont des cousins. Qu'on se le dise! Plus austères que Charles et Johnny, leurs sémillants confrères, les duettistes Gilles et Julien ne manquaient toutefois pas d'humour. Mais plus théâtralisé, celui-ci revêtait une distanciation peu pratiquée, jusque-là dans le "divertissement chansonnier". Bref, ces deux-là, en 1932, étaient déjà diablement modernes. En avance, dirons-nous, coiffant de quelques longueurs Tranchant et Trénet justement, dans des domaines il est vrai assez différents. Tranchant, du reste, ne mit jamais en boîte ses chansons noires, préférant se cantonner à des ariettes plus conformes à son image de charmeur. Pour Gilles et Julien, au contraire, la modernité repose avant tout sur une visualisation expressionniste - héritée de la fréquentation de Jacques Copeau. Leurs chansons - néo-folklore et néo-réalisme visités- associent, ainsi, la réalité quotidienne la plus immédiate à la tradition par une habile transposition du climat social d'une décennie en crise. Soutenues musicalement de façon minimaliste (un simple accompagnement de piano assuré, le plus souvent, par Gilles lui-même), elles font la part belles aux textes. Seule la scénographie (mime, éclairage, maillots de marins) met vraiment en valeur la chanson dans un rapport très fouillé entre esthétisme et expression. Le disque, évidemment, ne restitue pas cette aspect novateur mais il suffit d'écouter Le Vampire du faubourg, par exemple, pour comprendre pourquoi et comment ces duettistes influencèrent de nombreux interprètes d'après-guerre, à commencer par Yves Montand et Les Frères Jacques. Outre les oeuvres connues (Le Jeu de massacre, La belle France, La Marie-Jésus, Dollar), ce coffret aux trésors propose des titres, comme Vingt ans (signé Gilles) et Familiale (de Prévert et Kosma), écartés, naguère, par les éditeurs en raison de leur causticité. Des raretés aussi : des extraits d'Hamlet joué par les deux compères et une chanson-pastiche de traditionnels, pour Renault. Serge DILLAZ-CHORUS