« Un régal de bout en bout » par Paris Move

« Surf music. La simple association de ces deux mots évoque des images de plages de sable fin ensoleillées, ainsi que des rouleaux de vagues chevauchées, telles de sauvages destriers, par des éphèbes blonds et musclés, eux-mêmes en équilibre instable sur des planches effilées… Jan & Dean et les Beach Boys, voilà à peu près tout ce que l’imaginaire collectif en retient. Ce serait hélas ignorer la genèse de la culture qui s’y rattache, bien plus profonde, diverse et ancienne que le culte désuet d’une jeunesse enfuie et idéalisée ne le laisse supposer. Plus érudit et documenté que jamais, Bruno Blum en fait remonter l’origine à la fin du XIXème siècle, quand les populations hawaïennes s’approprièrent les premières guitares importées par les colons. En jouant posée à plat sur les genoux, un certain Joseph Kekuku en développa alors un usage des plus atypiques, sur son île Oahu, en frottant sur son manche un simple clou d’acier, et produisant dès lors les fameux effets de glissando qui estampillèrent l’identité de l’archipel. Le premier virtuose autochtone à populariser ce style sur le continent américain se nommait Sol Hoopii (imaginez Django Reinhardt au bottleneck), et le musicologue de la slide guitar Bob Brozman en devint marteau. Des années 20 jusqu’à la fin des années 40, Hoopii connut un tel succès que son influence s’étendit jusqu’à la country (la pedal-steel résulte du désir d’y transposer ses sonorités ondulantes) et au blues (avec la lap-steel sur resonator, Durandal de la note bleue). L’évolution technologique rapide qu’enclencha l’amplification électrique des instruments à cordes aboutit ensuite aux prémices de nos pédales d’effets actuelles (la réverb, les pick-ups et les tremolos Bigsby), dont l’usage se répandit rapidement dans le rockabilly, puis le rock n’ roll naissant et ses diverses ramifications jusqu’au doo-wop, accouchant ainsi du caractéristique twangy sound. Cette évolution et ses développements depuis ses tout débuts jusqu’à l’avènement des Beatles sont brillamment illustrés ici, au fil de 48 plages soigneusement sélectionnées et magistralement restaurées. De la Sol music de Hoopii jusqu’au rock instrumental des Ventures, Spotnicks, Dick Dale, Chantays, Link Wray, Tornadoes et autres Shadows, en passant par le teenage doo-wop des Rivingtons, Regents, Excellents et Dion & The Belmonts, sans oublier les contributions de pionniers tels que Cliff Gallup (auprès de Gene Vincent), ou encore Chuck Berry, Bo Diddley, Eddie Cochran, Buddy Holly et les Everly Brothers, ainsi que de country pickers tels que Chet Atkins, Jimmy Lane, Pee Wee King et Merle Travis, pour conclure sur les premiers pas des Beach Boys (qui associaient pour leur part guitares réverb et chœurs hérités du doo-wop), cette remarquable anthologie s’enorgueillit de quelques incunables. Ainsi des tout premiers efforts enregistrés du New-Yorkais Lewis Reed (appelé à la célébrité au sein du Velvet Underground, sous le sobriquet de Lou), ou le “James Bond Theme” qu’enregistra en 1962 son co-auteur John Barry, avec son propre septette et orchestre. Un pan de notre histoire musicale moderne, et un régal de bout en bout. »

Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE