« Un souffle total » par Le Jars Jase Jazz


« Lectrices aventurières, lecteurs explorateurs, vos chemins détournés musicaux ont forcément croisé la route de Michel Portal (1935), clarinettiste, saxophoniste, bandonéoniste, compositeur, interprète, Français né au Pays Basque de parents espagnols, que ce soit en classique, jazz, musique contemporaine ou chanson française.
Le concerto pour clarinette de Mozart, chef d'œuvre immarcescible, il l'a joué et enregistré. Les solos de saxophone derrière Barbara ( " Pierre ") ou Serge Gainsbourg ( " Les petits machins ") ou Claude Nougaro ("Armstrong ". Arrangement de Michel Portal), c'est lui. Le Free Jazz en France, c'est lui aussi. Des compositeurs contemporains ont travaillé pour lui mais pas tous. Yannis Xenakis estimait qu'il avait trop goûté à la liberté pour pouvoir servir sa musique. Le musette revisité avec un autre musicien du Sud Ouest issu des bals populaires, Bernard Lubat, c'est encore lui. 
Bref, comme un de ses partenaires favoris, Martial Solal, Michel Portal est l'alliance vivante d'une rigueur extrême (les prix de conservatoire et de concours internationaux, il les a tous) et d'une liberté totale.
La liberté dérange car les gens n'y sont pas habitués. Même en art, lieu de la liberté selon André Suares, homme libre par excellence et qui en paya le prix.
En classique et musique contemporaine, musiques qui se prennent au sérieux, des puristes reprochent à Michel Portal de sortir du cadre en jouant autre chose. Pourtant quand il joue une partition de classique ou de contemporain, il la joue scrupuleusement.
En jazz, certains lui reprochent de swinguer comme une biscotte. Il est vrai que Michel Portal n'a jamais swingué comme l'orchestre de Count Basie derrière Tony Bennett. Il ne sait pas le faire. Michel Leeb n'a jamais accroché sur Michel Portal. Son swing est autre. 
Il n'y a que dans la chanson française, où sa place est méconnue, que personne ne lui reproche rien. Jouer toujours les mêmes arrangements simples sur les mêmes chansons dans les mêmes concerts l'ennuie vite mais Barbara et ses appels téléphoniques vers 2h -2h30 du matin ( " Bonsoir, c'est la standardiste " commençait-elle) lui manquent toujours plus de 25 ans après sa disparition.
" Il n'est qu'une vertu dans l'homme et dans l'art: l'intensité. Etre intense, tout est là ". André Suarès. Cette pensée correspond parfaitement à l'homme et à l'artiste Michel Portal. Il vomit les tièdes et les fait fuir par son intensité quels que soient la musique et l'instrument qu'il joue.
La musique a sauvé la vie de Michel Portal. Il s'ennuyait à mourir à l'école. Il s'ennuyait à mourir l'hiver au Pays Basque quand l'été était passé avec les vacances, les fêtes et les concerts à l'improviste. Par contre, passer des heures à faire des gammes jusqu'à décrocher l'entrée au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et le prix de clarinette à la sortie (1959), cela ne l'ennuyait pas du tout.
La musique le passionne tellement qu'il il ne parle ni d'amour ni d'amitié ni de voyage dans ce livre d'entretien biographique. Les clefs des partitions sont celles de la vie de Michel Portal.
Cette obsession a donné naissance à une œuvre immense que je méconnais je l'avoue mais dont les portes nous sont ouvertes grâce à ce livre.
Frémeaux avait publié, peu avant sa mort, une autobiographie de Martial Solal saluée sur ce blog, " Mon siècle de Jazz ". Franck Médioni avait réalisé un livre d'entretiens avec Martial Solal , " Ma vie sur un tabouret ". Sa maïeutique est fantastique. L'auteur s'efface devant son sujet. Michel Portal nous parle. Nous ne connaissons pas les questions mais nous avons les réponses avec ce souffle total qui le caractérise, le Souffle Portal. »
Par Guillaume LAGREE – LE JARS JASE JAZZ