«Atmosphères à la fois jubilatoires et nostalgiques » par Répertoire

En Mai dernier, le bal créole a fait irruption à l’Olympia. Biguines langoureuses, violons en pleurs, tempo syncopé, atmosphères à la fois jubilatoires et nostalgiques, le concert de la Martiniquaise Gertrude Seinin a rallumé les souvenirs du Paname d’entre-deux-guerres…le Paris des années trente c’étaient aussi les fastes quelque peu exotiques du Bal colonial de la rue Blomet, du Bal de la Glacière ou de la Boule blanche, quand la rive gauche s’enfiévrait sur les notes étincelantes de la clarinette de Stellio ou les riffs rigoureux du trombone d’Alexandre Saint-Hillaire. Cette époque insulaire en métropole, qui connut un autre moment de gloire avec l’Exposition Universelle de 1937, animée par l’orchestre guadeloupéen de Roger Fanfant, on la retrouve dans les trois coffrets de 2 CD que la maison Frémeaux & Associés a publié en 1993-1994, et dans lesquels on entend, parmi d’autres, les voix fines et perçantes des vocalistes antillaises Nelly Lungla, Maïotte Almaby et Léona Gabriel. En hommage à cette dernière et pour célébrer le trentième anniversaire de sa disparition (avec un an de retard, car elle est morte en 1971…), Gertrude Seinin a sorti la compilation de ses cinq premiers albums, dont le premier, paru en 1981, lui avait valu les Maracas d’Or l’année suivante. La chanteuse, qui avait commencé sa carrière avec le projet de relancer biguines, mazurkas et valses, bref la musique traditionnelle et populaire de la Martinique, revient à ses anciennes amours après une parenthèse significative consacrée à la création du genre créole-spirituel, sorte de gospel caraïbéen à l’instar du négro-spiritual afro-américain. Avec 34 titres distribués en deux CD et la participation de la fine fleur des musiciens Antillais (le regretté P. Rosine, F. Donatien, J. Béroard, J.-M. Albicy, D. Dantin…), la vocaliste originaire de l’ancienne Madinina se plonge dans les racines d’un art issu du triangle magique Nouvelle Orléans-Paris-Fort-de-France. « Je suis venue à la musique traditionelle de chez moi, celle datant d’avant 1902, l’année de l’éruption de la montagne Pelée et de la disparition de la ville de Saint Pierre, pour rendre homage à léona Gabriel Soïme, la grande dame de la chanson Martiniquaise, nous a expliquer Gertrude Seinin quelques jours avant son passage à l’Olympia. Aujourd’hui il y a une réhabilitation des anciens talents et des musiques populaires qu’on croyait ensevelies dans le passé mais qui sont toujoursvivantes, ce qui explique le succès de Cesaria Evora ou de Compay Segundo. Alors, je me suis dit : « pourquoi pas les Antilles ? » …Je me souviens de ma rencontre avec Léona Gabriel, qui remonte à l’époque où je faisais partie du groupe Art et Folklore. Léona m’a montré un album plein d’images de sa carrière et de sa vie. Dans les photos qui défilaient devant mes yeux, elle était si belle que je n’ai pas pu cacher mon admiration. Á quoi Léona répliqua, devant Alexandre Nestoret qui était avec nous, à l’origine de cette rencontre : »Maintenant elle ne voit que les ruines, c’est pour cela qu’elle s’étonne… ! ». Élégante, pleine d’assurance, dotée d’une voix belle et étendue sur plusieurs registres, cette chanteuse de la créolité nous rappelle, avec ses sérénades bourrées de tendresse, son swing délicat et ses saveurs sensuelles, l’histoire d’un courant musical qui fait son retour attendu dans le sillage des musiques-du-monde.
Luigi ELONGUI - RÉPERTOIRE