« Un livre qui servira de référence » par Abs Mag

« Au même titre que les musiques (pourtant évidentes !) des Indiens d’Amérique influencent une partie du blues, les Caraïbes ont elles aussi largement possédées les musiques Afro-Américaines. A l’instar de la musique Hawaïenne qui prendra une importance notable dans les compositions des musiciens noirs dès la fin du 19ème siècle. On pense à Son House qui citait souvent cette influence et on revoit cette image d’un Blind Lemon Jefferson avec sa guitare sur les genoux, dans le style d’un Kekuku (Joseph Kekuku, 1874-1932) dont la paternité de la steel guitar est aujourd’hui reconnue (Charles DeLano, « Musique hawaïenne à Los Angeles »). Nombreuses sont les influences qui ont enrichi cette musique et pourtant, durant fort longtemps, peu de spécialistes parlaient de ces ascendances qui nourriront les deux plus grands piliers musicaux que sont le Jazz et le Blues. L’esclavage, ce crime contre l’humanité, qui mit à nu des dizaines de millions d’Africains (mais pas que !) ne leur enlevèrent pas leurs identités culturelles. Il leur fallait avoir une sorte de résilience aussi bien cachée qu’elle fut, pour pouvoir rester « vivants ». Bruno Blum, journaliste, écrivain, dessinateur, producteur (notamment les remix dub des deux albums reggae de Gainsbourg), chanteur… met en perspective dans ce nouveau livre les essences multi-raciales qui inspireront quasiment toutes les musiques « modernes » du siècle dernier. Soul, Funk, Blues … ne sont donc pas nés du hasard, mais bien d’une interaction commune, de prises d’intérêts musicaux, d’échanges entre cultures. Les exemples sont particulièrement nombreux et s’il ne devait y en avoir qu’un, je prendrais celui de La Nouvelle-Orléans qui fut jadis le carrefour migratoire de bien des cultures différentes qui eurent un impact sur les individus et les sociétés artistiques comme jamais. Située dans le delta du Mississippi, entourée de marais et de lacs qui l’isolent du grand continent et érigée sur de la boue, elle a été l’escale portuaire qui donnait accès à la multiplicité culturelle des Antilles. Ce mélange cosmopolite qui comprenait des Amérindiens, des Africains, des Européens et la créolité vaudou n’était pas en reste pour faire danser les âmes de Congo Square. L’altérité qui émanait de cette ville fut à l’origine d’un style de jazz (New Orleans Jazz) qui émerge dès le début du XXe siècle avant de prendre ses distances en migrant à Chicago (en 1917, la fermeture du quartier des plaisirs de La Nouvelle-Orléans marque un tournant. Les musiciens de jazz sont contraints de migrer vers des villes comme Chicago et New York, contribuant ainsi à la popularité grandissante du jazz), puis de doucement s’éclipser face au middle jazz. Louis Armstrong et K. Ory lui redonneront souffle en réaction au Be-Bop en couches et d’un autre courant musical, le Dixieland. Et que dire du Funk ? De ceux qui répandront ce vacillement musical qui ne tient pas en place comme Professeur Longhair, Docteur John, Allen Toussaint, The Meters, Clifton Chenier ou les Neville Brothers… « Caraïbes / États-Unis, du Calypso au Ska » y répond dans toutes ses largeurs et ses profondeurs. Ce livre, préfacé par Christine Taubira avec des mots percutants, fait suite à l’ouvrage « Les Musiques des Caraïbes, du vaudou au calypso » (co-édition du Castor Astral et de Frémeaux & Associés) du même auteur et donne au lecteur un nombre de pistes musicales à suivre tout au long de sa lecture, sources principalement tirées des éditions de Frémeaux & Associés. Mais n’oublions pas que ces échanges n’allaient pas que dans un sens, que tous se nourrissaient de l’assiette pleine. Et si Bruno Blum, à travers ce travail fouillé, peut permettre au plus grand nombre de s’apercevoir des réminiscences musicales dans les styles de musiques qu’ils affectionnent, alors il aura tout bon. Un livre qui servira de référence. 
Par Patrick DERRIEN – ABS MAG