FRANCE UNE ANTHOLOGIE DES MUSIQUES TRADITIONNELLES

"Guillaume Veillet - L’“anthologiste”" par Trad Magazine


"Ethnologue, passionné de musiques du monde, Guillaume Veillet se partage entre Paris et la Savoie pour mettre en place de nombreux projets de disques et de livres. En attendant de connaître ses autres réalisations, revenons sur cet événement de fin d’année : l’anthologie des musiques d’en France. Rencontre avec le collecteur qui nous brosse l’aventure de la réalisation de ce coffret de dix disques.
Guillaume Veillet est né en 1975 en Savoie. Ethnologue de formation, il a enseigné à l’Institut d’études politiques de Grenoble, avant de devenir journaliste spécialisé en musiques traditionnelles. Il se partage aujourd’hui entre Paris et la Savoie et se consacre à différents projets de publication (CDs, livres). Il continue plus que jamais la collecte dans sa région d’origine.


- L’envie de réaliser cette anthologie… D’où vient-elle ?
- Depuis l’enfance, j’ai une passion dévorante pour le chant traditionnel, que j’entretiens en passant beaucoup de temps à “collecter” dans ma région, la Savoie. Le déclic est toutefois venu à l’époque où je vivais en Grande-Bretagne. J’ai eu l’occasion d’écouter la magistrale collection “The Voice Of The People”, réalisée par Reg Hall pour le label Topic Records : vingt CDs de collectages anglais, écossais, gallois et irlandais ! Je regrettais qu’il n’existe pas la même chose chez nous (la passionnante anthologie en 33 tours réalisée autrefois par le Chant du Monde ne couvrait pas tout le territoire). On n’est jamais mieux servi que par soi-même, j’ai donc monté un projet que j’ai proposé à Patrick Frémeaux. Il a été assez fou pour l’accepter !


- Comment as-tu fait le choix des “secteurs” ?
- L’anthologie souhaite donner une autre image de la “culture française” dont on nous rabat les oreilles, en montrant la grande diversité des langues et des modes d’expression populaire. Toutefois, à mon sens, à l’écoute de ce coffret, ce sont les points communs entre tous les interprètes de tradition qui ressortent, plus que les différences. C’est le même matériau, le même esprit, quelle que soit la région. Dans cette optique, la répartition des morceaux entre différentes zones géographiques (forcément coupées au couteau) est moins centrale. J’ai vraiment conçu cette anthologie comme un tout. J’ai toutefois essayé de donner une vraie cohérence éditoriale à chaque disque. Je mets au défi les lecteurs de trouver une répartition plus logique que celle finalement choisie — j’y ai, pour ma part, réfléchi pendant plusieurs années.


- Et comment s’est fait le choix des morceaux ?
- Rappelons qu’il ne s’agit que d’une anthologie. Je ne suis pas le Marc Toesca du trad’. Et il ne s’agissait pas d’établir un “Top 300” des collectages réalisés sur le sol français. J’aurais pu choisir trois cents autres extraits d’enquête. Le choix final répond à de nombreux critères, parfois subjectifs, bien sûr. Il était important de proposer un panorama le plus complet possible, sans toutefois sombrer dans l’hyper-représentativité : qu’il y ait dans l’anthologie dix enregistrements réalisés dans le département de la Vendée et aucun dans l’Oise ou le Vaucluse ne me pose pas de problème. L’important est que l’ensemble soit cohérent… Et très agréable à écouter. L’anthologie comporte une grosse moitié d’inédits, mais aussi de nombreux extraits de disques existants. Histoire de mettre en valeur le gros travail de publication réalisé depuis une trentaine d’années au niveau associatif.


- Quelles furent les difficultés rencontrées pour une telle réalisation ?
- Près de trois cents morceaux, plusieurs centaines d’ayants droit répartis sur les cinq continents… Réunir toutes les autorisations a pris du temps. Toutefois, au bout du compte, je n’ai quasiment pas essuyé de refus. Et l’intérêt du projet a été très bien compris par tous : institutions nationales comme la BnF ou l’ancien musée des A.T.P., centres en région du réseau FAMDT, associations, collecteurs individuels et “francs-tireurs”, etc.


- Es-tu satisfait du résultat ? Y a-t-il des manques ?
- Avec le recul, je n’aurais sans doute pas dû faire figurer en couverture du CD “Méditerranée” la (belle) photo d’un tambourinaire lors d’un rassemblement récent. Cela donne une image un peu folklorique à une sélection musicale qui ne l’est pas. Un peu comme si le CD “Bretagne ” était représenté par des cercles celtiques défilant sur les Champs-Élysées lors de la “Breizh-Parade”, ou le CD “France d’Outre-Mer” par une vahiné au soutien-gorge en noix de coco ! Et je regrette de n’avoir pas fait d’efforts suffisants pour trouver un enregistrement intéressant en francique de Moselle, l’une des seules langues de France absentes de l’anthologie. Sinon, j’assume à peu près mes choix. Et je suis disponible auprès des lecteurs de Trad Mag’ pour en discuter, si possible autour d’une bonne bière !
Propos recueillis par Philippe KRÜMM - TRAD MAGAZINE


"L’aventure anthologique" extraits de l'entretien entre Patrick Frémeaux et Philippe Krümm (Trad Magazine)


"Une anthologie des musiques traditionnelles de France voit le jour en cette fin d’année 2009.
Commencé il y a plus de six ans, le “collectage” des morceaux, la signatures des contrats des ayants droit, ainsi que l’écriture des textes auront pris plus de temps que prévu. Projet mis en route à une période où le disque allait encore à peu près bien, ces dix CDs sortent à un moment où l’industrie de la musique est très malade. Il nous fallait rencontrer le patron de la maison de disques qui a pris un tel risque. Petite discussion avec Patrick Frémeaux, le boss de, il va de soi, Frémeaux & Associés.


- Quand a été créée la production de disques Frémeaux & Associés ?
- Patrick Frémeaux : Il y a dix-sept ou dix-huit ans. Pendant des années, je me suis occupé du label La Lichère. Ce n’était pas ma maison de disques. La première parution de mon label, c’est “Accordéon (vol. 1) : musette / swing / Paris 1913-1941” (réf. DH002), coéditée avec la discothèque des Halles.

- Combien de disques au catalogue à ce jour ?
- 1 080.
(...)

- Mais alors cette folie patrimoniale, c’est quoi ? Tu es un passéiste fou ?
- Non, je ne suis pas passéiste, ni nostalgique. De toute façon, la majorité du patrimoine que je présente, je ne l’ai pas connu quand j’étais jeune. Moi, j’ai vécu l’épopée Supertramp. C’est plutôt une volonté encyclopédique. Une espèce de peur que des choses importantes ne soient pas sauvegardées ou puissent disparaître à un moment donné. C’est un désir de conservateur de musée, en l’occurrence dans le patrimoine sonore. Quand je suis arrivé dans l’univers du disque, ce dernier était dans des dogmes économiques non pas de culture mais de divertissement. C’est-à-dire sur des périodes courtes et de “one shot”. Mon idée était simple : être sur un modèle économique de cycle long quand tout le monde était sur des cycles courts. Je voulais amortir des productions sur six ans, là où les règles fiscales de l’époque étaient de deux ans. L’idée philosophique de la maison de disques Frémeaux & associés, qui est de conserver le patrimoine, c’est de trouver le modèle économique qui convient et de l’installer." (...) 
 Propos recueillis par Philippe KRÜMM - TRAD MAGAZINE