Naissance de la bossa nova - L'anthologie d'Alain Gerber
Naissance de la bossa nova - L'anthologie d'Alain Gerber
Ref.: FA5899

Rio de Janeiro - New York - Los Angeles

Antonio Carlos Jobim • Vinicius De Moraes • João Gilberto • Quincy Jones • Stan Getz

Ref.: FA5899

Direction Artistique : ALAIN GERBER

Label :  FREMEAUX & ASSOCIES

Durée totale de l'œuvre : 58 minutes

Nbre. CD : 1

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Présentation

La bossa nova est l’une des plus emblématiques des musiques populaires du XXe siècle. En plus d’avoir offert au grand répertoire quelques-uns de ses plus beaux fleurons elle a placé la musique brésilienne sur le devant de la scène internationale. En parallèle à son ouvrage, Alain Gerber sélectionne 45 des oeuvres les plus emblématiques des débuts de la bossa nova entre Brésil et États-Unis. Antônio Carlos Jobim, João Gilberto, Johnny Alf, Luiz Bonfá, Carlos Lyra et Baden Powell font échos à Stan Getz, Dizzy Gillespie, Dave Brubeck et Sonny Rollins.
Patrick FRÉMEAUX



CD 1 - RIO DE JANEIRO : HEITOR VILLA-LOBOS : BACHIANA BRASILEIRA N° 5 • DICK FARNEY & LUCIO ALVES : TEREZA DA PRAIA • JOHNNY ALF : RAPAZ DE BEM • ANTÔNIO CARLOS JOBIM & VINÍCIUS DE MORAES : SE TÔDOS FÔSSEM IGUAIS A VOCÊ • LUIZ BONFA : LUZES DO RIO • JOÃO GILBERTO : UM ABRAÇO NO BONFÁ • ELIZETE CARDOSO : OUTRA VEZ • JOÃO GILBERTO : CHEGA DE SAUDADE • DORIVAL CAYMMI : SAMBA DA MINHA TERRA • JOÃO GILBERTO : SAMBA DA MINHA TERRA • TRIO CAMARA : MUITO A VONTADE • JOÃO GILBERTO : HO-BÁ-LÁ-LÁ • ELIZETE CARDOSO : SERENATA DE ADEUS • BADEN POWELL : SAMBA NOVO, PT. 2 • BADEN POWELL : PARA NÂO SOFRER • MAYSA (MATTARAZZO) : O BARQUINHO • SYLVIA TELLES : SE É TARDE ME PERDOA • JOÃO GILBERTO : LOBO BOBO • SYLVIA TELLES : DISCUSSÃO • JOÃO GILBERTO : SAMBA DE UMA NOTA SO • JOÃO GILBERTO : DESAFINADO • SYLVIA TELLES : CORCOVADO • CARLOS LYRA : COISA MAIS LINDA • CARLOS LYRA : MARIA NINGUÉM • OS CARIOCAS : TUDO É BOSSA • SÉRGIO RICARDO : MAXIMA CULPA • ANIBAL SARDINHA “GAROTO” : ALMA BRASILEIRA • OSCAR CASTRO-NEVES : AULA DE MATEMATICA.

CD 2 - (QUELQUE CHOSE SUR L’AMÉRIQUE DU NORD) : CURTIS FULLER : ONE NOTE SAMBA • DAVE BRUBECK : VENTO FRESCO • STAN GETZ & CHARLIE BYRD : É LUXO SÓ • CAL TJADER : SE É TARDE ME PERDOA • SONNY ROLLINS : THE NIGHT HAS A THOUSAND EYES • DIZZY GILLESPIE : DESAFINADO • BOB BROOKMEYER : CHORA TUA TRISTEZA • STAN GETZ : BIM BOM • ZOOT SIMS : MARIA NINGUEM • QUINCY JONES : BLACK ORPHEUS • DAVE PIKE : PHILUMBA • COLEMAN HAWKINS : UM ABRAÇO NO BONFÁ • IKE QUEBEC : FAVELA • LALO SCHIFRIN : RAPAZ DE BEM • CHARLIE ROUSE : VELHOS TEMPOS • GEORGE SHEARING : MANHA DE CARNAVAL • BUD SHANK : PENSATIVA.

DIRECTION ARTISTIQUE : ALAIN GERBER

Presse
« Événement: le prolixe et érudit Alain Gerber (par ailleurs directeur artistique de la collection jazz “The Quintessence”, chez Frémeaux), se fend à nouveau d’une de ces foisonnantes exégèses dont il a le secret – cette fois à propos de la bossa, à laquelle on adjoignit à sa naissance l’épithète nova. Bossa nova (littéralement “nouvelle vague” en portugais), ou l’histoire d’une révolution douce, initiée en catimini dans les faubourgs de Copacabana au mitan des années 50. Sous la présidence de Juscelino Kubitschek, le Brésil connaissait alors un vent de libéralisme (terme n’ayant alors guère à voir avec son acception antagoniste de nos jours). De même qu’en Europe et aux États-Unis à la même période, la jeunesse y aspirait à l’émancipation, et sous ses latitudes tropicales, la langueur nonchalante avec laquelle ses créateurs portèrent la bossa sur les fonds baptismaux séduisit d’abord la génération montante, animée d’une bourgeonnante soif de vivre. Le phénomène aurait pu rester cantonné à son berceau originel, sans la concordance de facteurs exogènes qui lui conférèrent bientôt un impact planétaire. Suscitée par la créativité de fondateurs tels que Johnny Alf, Antônio Carlos Jobim, Vinicius de Moraes et João Gilberto, la bossa bénéficia d’un porte-voix inespéré lorsque le film de Marcel Camus, “Orfeu Negro” (d’après la pièce de théâtre quasi-éponyme de Moraes) remporta en 1959 la Palme d’Or du Festival de Cannes, et l’Oscar du meilleur film étranger (ainsi qu’un Golden Globe Award) l’année suivante aux États-Unis. Il n’en fallut pas davantage pour qu’une tripotée de jazzmen à la coule (ceux du cool en tête) ne s’emparent à leur tour de ces rythmes nouveaux. Dizzy Gillespie, Sonny Rollins, Coleman Hawkins, Quincy Jones et Zoot Sims emboîtèrent ainsi le pas à Stan Getz et Dave Brubeck, pour propager une vogue qui n’allait dès lors pas tarder à gagner le monde entier. C’est la genèse de cette contagion que dépeint ce coffret double, en partant de ses fondateurs Brasileiros sur son premier CD, avant de passer en revue un échantillon significatif de ses perpétuateurs Nord-Américains sur le second. En 32 pages et 45 titres, aussi sourcé et pertinent que pédagogue, Gerber esquisse dans le copieux livret cette aventure, dont l’ouvrage dix fois plus épais qui l’accompagne (chroniqué ICI) retrace plus avant les origines, développements et ramifications. Irrésistible et passionnant : à lire et écouter en ondulant des hanches et des épaules… »Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE
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« Sans conteste, le jazz s’est imposé comme LA musique du XXème siècle. Née comme on sait, dans le sud des Etats-Unis, il a, au fil des ans, essaimé quasiment dans le monde entier, rencontrant maints folklores avec, il faut bien le dire, des bonheurs divers. (…) Par bonheur il est des mariages heureux. Des unions lumineuses. Tel est le cas de la bossa nova, fruit de la rencontre entre le jazz et la musique brésilienne. En l’occurrence, nulle idéologie abstraite mais un vrai coup de foudre. Une idylle qui se prolongera des décennies durant depuis le début des années 1960 jusqu’à nos jours.Il y eut certes des précurseurs comme Dizzy Gillespie, fasciné par les rythmes afro-cubains au point d’intégrer dans son orchestre le batteur Chano Pozo (Manteca). Rien de commun toutefois avec la subtilité de musiciens brésiliens tels Vinicius de Moraes, Antônio Carlos Jobim ou encore Joao Gilberto. De quoi subjuguer Stan Getz et Charlie Byrd et autres musiciens nord-américains, Dave Brubeck, Quincy Jones ou Herb Ellis, pour ne citer qu’eux.Qui mieux qu’Alain Gerber aurait pu rendre compte de cette idylle devenue une véritable épopée, narrée avec une précision entomologique assortie d’une vision panoramique ? La réputation de l’auteur dépasse largement le seul monde du jazz et son talent d’écrivain n’est plus à louer. Fleuron des éditions Frémeaux et Associés, tant dans le domaine du disque que dans celui du livre, il en est la clé de voûte. La pierre angulaire. Qui ne se souvient de sa contribution remarquable à la collection Quintessence ? Il en donne ici, une fois de plus, l’exemple : à son livre passionnant de bout en bout il adjoint un complément sonore indispensable. En effet un coffret de deux disques illustrant son propos d’historien vient en apporter la confirmation. Tous les grands noms y figurent, tous les succès mondiaux aussi. De Villa-Lobos à Bud Shank en passant par Jobim et Zoot Sims, ils sont tous là avec leurs chefs d’œuvre, Bachiana Brasileira, Pensativa, Maria Ninguem, entre bien d’autres.Une plongée rafraîchissante.Un voyage à la fois dépaysant et exaltant dont on sort revigoré. »Par Jacques ABOUCAYA
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« Frémeaux & Associés est depuis 30 ans le spécialiste des collections de musiques du XXè siècle . Cette fois c’est sur la bossa nova que s’est penché un des écrivains phares de cet éditeur, Alain Gerber. Journaliste, auteur d’une vingtaine de biographies de jazzmen, il est le directeur artistique chez Frémeaux de la collection « Quintessence » qui regroupe 80 coffrets relatant l’histoire du jazz.Bien plus qu’un courant musical la bossa nova est une révolution douce, une éclosion artistique née de l’effervescence culturelle du Brésil des années 1950. Dans ce livre Alain Gerber revient sur les racines de cet élan créatif, le replaçant dans son contexte de modernisation urbaine et de forte identité nationale.Les figures tutélaires sont bien sûr présentes, Joao Gilberto l’inventeur du rythme lui-même, l’imaginatif Antonio Carlos Jobim, le fantasque Vinicius de Moares. Mêlant rythmes de samba avec une sensibilité différente, une élégance nonchalante, la bossa nova puise aussi ses racines dans le jazz et en deviendra un des volets importants. Combien de mes amis qui n’aiment pas, ou pas trop, le jazz sont-ils ainsi sensibles au charme de la bossa !Élément important de la bossa, le chant avec la présentation de ses chanteuses et chanteurs emblématiques dans le berceau de Rio de Janeiro puis à la conquête de New York et Los Angeles où les plus grands jazzmen adoptent ce courant musical et le propulsent au niveau mondial. Vous découvrirez qu’un certain Henri Salvador a mis sa pièce à l’édifice même si son auto proclamation d’inventeur de la bossa nova est très exagérée…Alain Gerber nous raconte tout cela comme un roman nous donnant envie de réécouter d’une autre oreille cette musique. Cela tombe bien car parallèlement à cet ouvrage, paraît une anthologie musicale, toujours signée Alain Gerber, qui en deux CD et 45 titres nous relate la naissance et les premiers pas de la bossa, de Villa-Lobos à Quincy Jones en passant bien sûr par les maîtres incontestés du genre, Joao Gilberto, Luiz Bonfa, Tom Jobim, Vinicius de Moraes, Baden-Powell et les américains Stan Getz, Sonny Rollins, Dizzy Gillespie, Coleman Hawkins et bien d’autres. »Par Philippe DESMOND – ACTION JAZZ
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« Une fois n’est pas coutume, notre Disque coup de cœur est accompagné d’un livre coup de cœur, tous deux signés par Alain Gerber, qu’on ne présente plus – enfin je crois, enfin j’espère ! – et qui nous tend la main pour mieux nous faire tendre l’oreille en sélectionnant sur les deux CD de l’anthologie moult pépites d’Antônio Carlos Jobim, Vinícius de Moraes, João Gilberto, Sylvia Telles, mais aussi, car quand la bossa est là le jazz ne s’en va pas, des perles de Curtis Fuller, Dave Brubeck, Quincy Jones ou, bien sûr, Stan Getz pour, in fine, fort de sa plume savante et généreuse, nous faire rêver à des monde meilleurs où la musique ne serait que source de bonheurs tranquilles. »
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Liste des titres
  • Piste
    Titre
    Artiste principal
    Auteur
    Durée
    Enregistré en
  • 1
    É Luxo Só 
    Stan Getz, Charlie Byrd
    Ary Barroso
    00:03:44
    1961
  • 2
    Se É Tarde Me Perdoa 
    Cal Tjader
    Carlos Lyra
    00:02:49
    1962
  • 3
    The Night Has A Thousand Eyes 
    Sonny Rollins
    Buddy Bernier
    00:09:12
    1961
  • 4
    Desafinado 
    Dizzy Gillespie 
    Antônio Carlos Jobim 
    00:03:21
    1961
  • 5
    Chora Tua Tristeza 
    Bob Brookmeyer 
    Oscar Castro-Neves
    00:04:13
    1962
  • 6
    Bim Bom 
    Stan Getz
    João Gilberto
    00:04:31
    1962
  • 7
    Maria Ninguem 
    Zoot Sims 
    Carlos Lyra
    00:02:38
    1962
  • 8
    Black Orpheus 
    Quincy Jones
    Luiz Bonfá
    00:02:56
    1962
  • 9
    Philumba 
    Dave Pike 
    João Donato
    00:05:18
    1962
  • 10
    Um Abraço no Bonfá 
    Coleman Hawkins
    João Gilberto
    00:04:53
    1962
  • 11
    Favela 
    Ike Quebec
    Joracy Camargo
    00:04:04
    1962
  • 12
    Rapaz De Bem 
    Lalo Schifrin
    Johnny Alf
    00:02:33
    1962
  • 13
    Velhos Tempos 
    Charlie Rouse 
    Luiz Bonfá
    00:04:46
    1962
  • 14
    Manha de Carnaval 
    George Shearing
    Luiz Bonfá
    00:03:28
    1962
  • 15
    Pensativa 
    Bud Shank 
    Clare Fischer
    00:00:00
    1962
Livret

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LE MEILLEUR DE DEUX MONDES

Par Alain Gerber

 

 

MON ÂME CHANTE/JE VOIS RIO DE JANEIRO

(Antônio Carlos Jobim).

 

Un compositeur de musique classique dans la jungle amazonienne

        En 1957, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de son compositeur le plus illustre, le Brésil rend hommage à ce dernier en célébrant « l’année Villa-Lobos ». Cette résolution n’aurait pas eu le même retentissement si Heitor, au cours d’une carrière exceptionnellement féconde[1], ne s’était assuré l’estime de ses compatriotes — qu’ils fussent ou non des mélomanes avertis — comme la sympathie des Impressionnistes français et l’amitié de Darius Milhaud, Arthur Rubinstein, Edgar Varèse, pour ne citer qu’eux. Dans leur remarquable introduction à l’anthologie « Heitor Villa-Lobos, sa musique et ses interprètes », publiée en 2018 chez Frémeaux & Associés[2], Teca Calazans et Philippe Lesage montrent fort bien comment, contre vents et marées, en dépit des flèches dont l’accablaient à la fois les chiens de garde de l’académisme (ils le jugeaient vulgaire) et les commissaires politiques de l’avant-gardisme (ils lui reprochaient son amour du pittoresque), cet inconditionnel de Jean-Sébastien Bach, fumeur de cigares bahianais et invétéré railleur, avait défriché une piste vierge « entre la musique classique et la musique populaire urbaine (le choro) et rurale (les violeiros et les cantadores nordestins) de sa terre natale en un temps où les mélomanes européens voyaient insensiblement la musique érudite des salles de concert s’ouvrir à la modernité sous les coups de butoir de Debussy, Ravel, Stravinsky, Bartok et Varèse. »

        L’homme avait appris, entre autres instruments, le piano, le violoncelle et la clarinette. Et la guitare, mais en cachette. Il avait analysé les chants d’oiseaux et les bruits de la rue, comme l’y incitait son père, tendu le chapeau au titre de violoncelliste de bistrot, avant d’étudier la musique institutionnelle avec un manque d’application si soutenu qu’il forçait le respect. En sa jeunesse, sa fantaisie était l’unique chose qu’il prît au sérieux. À la méthode, il préférait l’aléa ; à la discipline : les extravagances, les éblouissements, les révélations hasardeuses. Il avait été un autodidacte de conviction, dilettante et acharné tout à la fois. Il serait, dès ses dix-huit ans et sept années durant[3], une sorte d’ethnomusicologue à la picaresque : bénévole, ingénu, assidu, fanatique. Aussi folklorique que les folklores dont il souhaitait s’imprégner. Plus sauvage en son genre que, dans leur semi-nudité, les naturels qu’il allait dénicher au fin fond des jungles et des trous de mémoire de l’administration brésilienne.

        Au sein d’une réalité à demi glauque, à demi chatoyante — l’imaginaire en dur des mondes incertains — il évitait de peu les flèches et les chaudrons fumants, enjambait les serpents à seule fin de faire entendre à de présumés cannibales, absolument stupéfaits, les sons tirés du gramophone dont il s’était encombré, avec l’espoir qu’en échange, ils l’initieraient à leurs chansons, péans et autres bizarreries sonores. Ses poches étaient bourrées de petits carnets où il consignait, sans doute avec fièvre, ce qu’il parvenait à saisir d’un enseignement oral qu’on imagine moins orthodoxe qu’à l’Institut de musique de Rivière de Janvier.

        De ces expéditions lointaines comme de ses incursions dans les quartiers véreux, dans les lieux patibulaires, ces « petits enfers » où Jobim se produirait plus tard, dans les bars et les bals mal famés, il est revenu pauvre comme Job, néanmoins détenteur, assurait-il, « d’incroyables richesses ». Détenteur d’un trésor qui ne coûte rien et vaut tout l’or du monde : un sublime qui n’aurait que faire des prétendues sublimations, si chères à nos post-modernes : les joyaux d’une beauté comme originelle, gardée intacte, les pierres brutes d’une joaillerie brutale, qui ne sont là que pour faire mieux valoir leur écrin : Terra Brasilis. Le Brésil était sa folie. Son amour ultime. Il ne voulait pas simplement l’habiter, l’admirer ne lui suffisait pas davantage : son ambition était d’en être, par ses créations, un morceau. S’il a pu en prendre connaissance, rien ne l’aura comblé davantage que ce portrait tracé de lui par son ami Alejo Carpentier : « C’est un palmier qui pense comme un palmier, sans se rêver semblable aux pins de l’hémisphère nord ».

        Traqueur des vérités premières, les moins dociles, Heitor avait écumé les musiques populaires de son pays. Elles lui ont rendu la politesse. Ce n’est pas que la bossa nova et ses dissidences, par exemple, aient désiré lui devoir quelque chose : c’est qu’elles ne pouvaient pas faire autrement. Et l’on songe moins aux emprunts à son répertoire, anecdotiques[4], qu’à l’héritage de son brasilianisme invétéré, qui fut essentiel. Antônio Carlos venait souvent le voir. Non pour consulter le maître, mais pour rire, boire et fumer en sa compagnie. Pour se sentir pleinement chez lui quand il était chez cet homme-là, en attendant que la gloire, trop souvent, ne le condamnât à l’exil. Villa-Lobos quitte ce monde le 17 novembre 1959, à Rio. À Rio, l’acte de naissance officiel de la bossa nova date de la publication, l’année précédente, de Chega de Saudade (CD 1, # 9) et Bim Bom, 78 tours inaugural du tandem formé par João Gilberto, soliste, et Tom Jobim, arrangeur, Vinícius de Moraes étant le parolier. Mais la coïncidence n’est qu’un leurre. Il n’y a pas eu passage de témoin entre le premier de ces créateurs et les deux autres. ll ne saurait y en avoir entre des êtres qui, chacun de son côté et au fil de ses humeurs, refont le monde à leur image.

 

« Racines vagabondes » (Pierre Barouh).

        En 1959, sous la présidence du docteur, officier de police et guitariste du dimanche Juscelino Kubitschek, l’homme grâce à qui, très bientôt, l’hallucination de Brasilia se coulerait dans le verre, le fer et le béton, le Brésil trouve la bossa nova dans son petit soulier. La bossa nova, elle, avait mis plus de dix ans à se trouver. En vérité, sans le savoir, elle y était parvenue avant l’enregistrement de Chega De Saudade par Gilberto, le 10 juillet 1958 — faute de quoi comment aurait-elle eu l’idée de se chercher ? Cette interprétation qui, à peine commercialisée, ferait fureur, venait en couronnement de deux autres tentatives, déjà fort réussies, auxquelles l’artiste avait pris part. Dès le mois d’avril, João avait accompagné à la guitare une version remarquable de la chanson de Jobim et Vinícius de Moraes par Elizeth Cardoso[5], puis une deuxième par le groupe vocal Os Cariocas, dont il remplaçait incognito le guitariste en titre, Emmanoel « Badeco » Furtado, lequel éprouvait quelque difficulté à mettre en place une figure rythmique encore inouïe[6]. Le moment de la fleuraison était venu. Mais, pour inattendue qu’elle fût des sambistes traditionnels (qui ne lui tendirent pas tous les bras, il s’en faut de beaucoup), cette beauté toute neuve, encore fragile, venait de plus loin.

        C’est un jeu captivant que de dégager des alluvions du temps qui passe les « racines vagabondes » évoquées par Pierre Barouh dans le texte de Samba Saravah, directement inspiré du Samba Da Benção de Vinícius, cet hymne inégalé à la chanson brésilienne). À traquer, déceler, dévoiler les antécédents de la bossa nova, ses signes annonciateurs, les reliefs, les reliques d’une patiente et discrète gestation, on peut consacrer toute une partie de son existence. Si l’on n’envisage pas d’effectuer ce travail d’archéologue, il est toujours possible de se reposer sur le recensement accompli, cette fois encore, par Philippe Lesage dans le recueil « Les précurseurs de la bossa nova 1948-1957 » (Frémeaux & Associés FA5216). Il y a là une précieuse collection de traces sonores — « suspension dans l’air du temps… qui attendait un précipité alchimique », écrit-il — accompagnée d’une étude historique élégante et de la plus grande précision. Frappés d’abord par le rôle capital joué par Jobim dès 1954, à la fois comme compositeur et comme interprète, nombre d’amateurs, même éclairés, y rencontreront bientôt quantité d’artistes dont en France, pendant trop longtemps, on n’avait guère soupçonné l’existence. Avec pour résultat de méconnaître l’importance de leur contribution à l’affleurement graduel d’un nouveau genre de samba, parfois nourri de cool jazz et de West Coast Jazz nord-américains. Et sans doute s’étonneront-ils que le charmant Tereza Da Praia d’Antônio Carlos et Billy Blanco ait été gravé, par Dick Farney et Lucio Alves (CD 1, # 2), plusieurs années avant le Chega de Saudade/Bim Bom dont on a parlé[7].

 

« Le père de la bossa nova », selon Tom Jobim

        Pour explorer ces années de formation, un volume entier ne serait pas de trop. Je crains qu’il ne faille se résoudre à des ambitions plus modestes. N’y aurait-il qu’un de ces pionniers à donner en exemple, j’inclinerais en faveur d’Alfredo José da Silva, mieux connu sous son pseudonyme de Johnny Alf[8]. Et cela en dépit du fait que celui-ci aurait décliné cet honneur. Résolu à n’être précurseur que de lui-même, il voulait inventer, au jour le jour, sa musique comme sa vie. Sa manière, qu’il revendiquait irréductible à toute autre, il la définissait comme le plaisant métissage de ce qu’on pouvait entendre dans son pays et de ce qui se jouait dans les clubs de jazz de l’autre Amérique. Des années avant sa disparition, Jean-Paul Delfino avait écrit que, dans son art autant que dans sa personne, « il (était) bossa nova », comme d’autres bientôt seraient rock’n roll ». Mais Johnny n’en démordait pas. Le 21 novembre 1962, alors qu’on l’invitait à se produire au Carnegie Hall, de New York, ouvrant qui alors ses portes à l’élite du mouvement, il préféra faire ce qu’il avait toujours fait : tailler la route, n’être en tel endroit qu’avec l’excuse de se rendre dans un autre. De ville en ville, l’éternel ailleurs de l’ailleurs reculait devant lui. Mais il était sa vraie patrie : Johnny Alf ou l’odyssée permanente.

        Il n’aurait pas déparé parmi les traîne-guêtres que fréquentait et célébrait son contemporain Jack Kerouac[9], celui qui avait dit « Pour moi ne comptent que ceux qui sont fous de quelque chose… ceux qui ne bâillent jamais… mais brûlent, brûlent comme un feu d’artifice. » Tels ces usagers de la marge, marchant au hasard dans les pas de son ombre sur ces « trottoirs de la vie » que les bien-pensants « arpentent fièrement », il se réclamait oiseau de nuit, nomade impénitent, honte ambulante de la société industrieuse. Dédaigneux des petites gloires mesquines et confortables, il se montrait en revanche amoureux transi de gens que les gens qui se respectent se plaisent à ne pas respecter : poètes aux poches crevées, aux réveils douloureux, des Gauguin en vadrouille tropicale, des Chet Baker s’envolant par les fenêtres dans l’odeur des frites.

        Cependant il ne fut pas un beatnik très orthodoxe. Trop sérieux, trop consciencieux, trop scrupuleux : un camp-volant fort peu volage lorsqu’il s’agissait de la musique en général et de la sienne tout particulièrement. Jamais la perfection ne lui parut haïssable, bien au contraire. S’il ne rendait de comptes à personne, il se montrait avec lui-même de la plus grande exigence. Faire carrière fut le cadet de ses soucis. Néanmoins il sut fort bien mener sa marque, et d’une façon peu commune chez les chanteurs populaires : en dissuadant ses auditoires de se contenter de peu. À l’image de João Gilberto qui, lorsqu’il n’était encore personne, l’écoutait avec passion, à l’image d’un autre de ses inconditionnels, Antônio Carlos, salué comme l’égal de Gershwin ou de Cole Porter, il aurait pu gagner le cœur des gringos. Peut-être même est-ce ce qu’il avait tenté de faire, en 1963, avec un « Canta em Inglès, Sings in English » ressemblant beaucoup à un coup de genou sous la table. Mais il était resté, et resterait longtemps, le saltimbanque d’un seul territoire, un seigneur de proximité, le héros du Plaza de Copacabana et le créateur de mélodies où le Brésil parlait à l’oreille des Brésiliens. Parmi ces dernières, l’une, Eu e a Brisa, écrite au milieu des années 60, est un pur joyau. L’autre, la samba Rapaz de Bem, dont la conception remonte à 1953, dévoile par sa progression harmonique comme par son tracé mélodique une vision qui, l’eût-il ou non accepté, préfigurait celle des bossanovistes (CD 1, # 3).

 

« Orphée des mornes » (Vinícius de Moraes).

        Johnny Alf fut la figure même du chat-qui-s’en-va-tout-seul. Mais les frémissantes prémices de la bossa nova se manifestèrent aussi dans les œuvres de binômes d’ailleurs qu’on qualifierait aujourd’hui d’« improbables ». Le mot est devenu à la mode. On peut lui préférer « introuvables », dans la mesure où les fruits de ces alliances allaient dépasser toutes les attentes. Ç’avait été pourtant en toute innocence, voire sans parier gros sur leur réussite (ils auraient bien été les seuls !), que Jobim et de Moraes d’abord, puis Jobim et Gilberto, avaient fait cause commune.

        En 1954, selon Delfino, Vinícius, qui se dépeignait lui-même comme « le Blanc le plus noir du Brésil », met le point final à une pièce de théâtre, cousine de la comédie musicale, dont il avait entrepris la composition une dizaine d’années plus tôt. Selon son auteur, « Orfeu da Conceição » est né d’un fantasme : celui d’« un Orphée des mornes qui serait un joueur de samba ». Quoi qu’il en soit, L’intervention d’un musicien est indispensable. Quelqu’un recommande au poète un obscur pianiste de club de nuit plus ou moins borgne, un dénommé Antônio Carlos Brasileiro de Almeida Jobim, transfuge des cabinets d’architecte menant la petite vie, survivant à un gagne-pain des plus précaires grâce à des expédients dont il n’a pas lieu de tirer avantage. Comme de faire chez Continental, concurrent d’Odeon, le copiste « au service des compositeurs qui ignorent le solfège » (Delfino encore). La collaboration de ce cryptomistouflard et du dramaturge[10] qui vient d’assurer à Paris les fonctions de secrétaire d’ambassade prélude en 1956 à un succès phénoménal. Si retentissant qu’il passera sans attendre le relai à un film non moins plébiscité, écrasé sous plus de lauriers qu’il ne pouvait en porter : l’« Orfeo Negro » du cinéaste français Marcel Camus, tourné en 1958.

 

Matin de Carnaval

        L’année n’est pas arrivée à son terme que, déjà, les mélodies d’« Orfeu » — dont Se Tôdos Fôssem Iguais A Você, promis à un bel avenir (cf. CD 1, # 4) — sont enregistrées, à l’initiative d’Odeon et sous la direction de Jobim, arrangeur, par le vocaliste Roberto Paiva (1921-2014) et avec la contribution aussi remarquable que discrète d’un autre précurseur reconnu comme tel par les pères fondateurs du mouvement : le guitariste (et chanteur) Luis Floriano Bonfá, alors âgé de trente-quatre ans, en piste depuis 1947 et l’un des inspirateurs de Gilberto avant de s’inspirer de lui. Toutefois, ce disque n’atteindrait le public que plusieurs mois après que, pour la même maison de disques, Sylvia Telles[11] eut donné sa propre version de Se Tôdos, soutenue elle aussi par une formation que « Tom » avait réunie.

        La bande sonore d’« Orfeo Negro » porte les signatures du désormais inévitable Jobim et de Bonfá, révélé au grand public grâce à deux mélodies du film : Samba de Orfeu et plus encore peut-être Manhã de Carnaval[12]. Ces arbres-là ne cacheraient-ils pas la forêt ? Dans ce pays en tout cas, on a fait trop peu de cas, me semble-t-il, de l’art délicat de Luiz. Si cet artiste a pu céder à la facilité en certaines circonstances (beaucoup moins qu’Almeida toutefois), s’il n’est pas toujours allé au bout de lui-même, des pièces telles que Luzes do Rio, de 1959 (CD 1, # 5), témoignent tout ensemble d’une subtilité de conception et d’une maîtrise instrumentale qui, je crois, justifient pleinement que João Gilberto, dans son irremplaçable « O Amor, o Sorriso e a Flor », lui ait rendu dès 1960 le plus explicite des hommages avec une mélodie sans paroles intitulée Um Abraço no Bonfá (CD 1, # 6). Son auteur la reprendra un quart de siècle plus tard dans « Getz/Gilberto ‘76 » (Resonance HCD 2021).

 

Adieu tristesse

        Je ne saurais dire avec certitude où et quand João et Tom se sont rencontrés. Ce n’étaient pas les occasions qui manquaient à deux personnages exerçant le même métier dans la même ville, fréquentant les mêmes lieux (établissements de nuit, bars de musiciens, studios d’enregistrement, coulisses de théâtres, couloirs de maisons de disques…) et courant les mêmes symboliques cachets avec un empressement comparable. Au plus tard, ils firent connaissance le jour d’avril 1958 où Elizete Cardoso enregistra Outra Vez (cf CD 1, # 7) avec l’orchestre de Jobim, rejoint par Gilberto dans deux des interprétations — l’autre, rappelons-le, étant Chega de Saudade. Or, à partir de cet instant, le compositeur n’eût de cesse — rapporte Joël Leibovitz — qu’une maquette de sa pièce fût réalisée par João à l’intention d’un décideur bien précis qui, aux yeux de n’importe qui d’autre, eût été justement l’homme à ne pas tirer par la manche.

Des prétendants sortis de nulle part, et sûrement pas de la cuisse de Jupiter, des bizuts dévorés d’ambition et que leur ambition allait dévorer tout crus, Aloysio de Oliveira, l’homme qui faisait la pluie et le beau temps chez Odeon, avait l’habitude d’en croiser dans son antichambre. Mais il se trouvait que celui-là, déjà déroutant dans la mesure où ses canines ne semblaient pas menacer le parquet, se signalait pour tout arranger par une approche du chant, inspirée de Chet Baker et du jeune Henri Salvador, qui répondait mieux que bien à ce que le sélectionneur ne cherchait pas, porté qu’il était, rapporte Leibovitz, « sur les belles voix pleines de vibrato, comme Dorival Caymmi dans Maracangalha — le premier succès d’Aloysio en tant que directeur artistique ». L’affaire eût été close si Antônio Carlos n’avait trouvé des alliés, tel le directeur commercial Ismaël Corrêa[13], à l’intérieur même de la maison dont il voulait forcer la porte. Après quoi, le bénéficiaire du complot sut convaincre Dorival en personne de plaider sa cause. L’enregistrement allait avoir lieu, et ce ne serait pas une partie de plaisir, les instrumentistes requis en la circonstance ne manifestant à l’égard des murmures, nuances et bouleversantes sophistications de la vedette qu’un enthousiasme modéré, pour dire le moins. Leibovitz toujours, qui évoque même « une mutinerie » : « Les accrochages avec Tom Jobim se multiplièrent. Il faut plusieurs semaines (…) pour que le disque soit enfin prêt. (…) Oswalgo Gurzoni, le très influent directeur commercial d’Odeon à São Paulo, est entré dans la légende de la bossa nova en déclarant à l’écoute (du produit fini) : ‘Voilà la dernière merde que Rio nous envoie !’. » (cf. CD 1, # 8).

 

Sambas du pays de Dorival

        Il faut s’arrêter sur la relation entre le débutant Gilberto et Caymmi, le chevronné. Jamais, à proprement parler, ils n’auront constitué une paire. Sans le moindre doute, cependant, ils formèrent une société d’admiration mutuelle. Fertile au surplus. Le cadet a donné des créations les plus achevées de l’aîné les versions les plus mémorables — si réussies qu’elles dépassent à la fois en intensité et en flexibilité celle de l’auteur lui-même, comme on le voit, par exemple, dans leurs interprétations respectives de Samba da Minha Terra (CD 1, # 9 & 10). Je n’en ai pas dressé la liste exhaustive, mais il faut au moins citer plusieurs autres miniatures ciselées par Dorival dont João a su mieux que quiconque mettre l’âme à nu, tout en rehaussant leurs charmes manifestes d’une touche de volupté subreptice, elle-même nuancée de nostalgie. On évoque là ces moments comme suspendus où l’enchantement et le désenchantement non seulement se marient mais se confondent, l’un devenant alors le secret de l’autre. Il n’en manque pas dans Rosa Morena, Doralice ou Saudade da Bahia[14].

 

João Donato : l’évidence de la beauté

        En ses années de ventre creux et de tâches subalternes, João Gilberto, se nourrissait de Dorival comme de Johnny Alf, mais aussi, autant que d’eux, de João Donato, pianiste, vocaliste, compositeur. En juillet 2023, à la mort de ce dernier, qui n’avait pas toujours obtenu la reconnaissance qu’il méritait, le président Lula en personne, paraphrasant Jobim[15], avait tenu à lui rendre hommage sans économiser le dithyrambe : « C’était un des génies de la musique brésilienne. Nous avons perdu aujourd’hui l’un de nos meilleurs compositeurs, l’un des plus créatifs… (Il) a marqué l’histoire de la musique de notre pays avec ses compositions qui ont parcouru le monde. » Donato possédait le rare talent de rendre la beauté évidente : toujours d’un abord aisé, toujours d’un abord aimable, bien qu’elle fût le fruit de l’exigence.

 

Un farouche amour

        Au moment où l’on enregistre Desafinado, les deux João entretiennent des liens étroits. À cette époque, le créateur de cette pièce emblématique, conçue par Antônio Carlos et le parolier Newton Mendonça, se sent encore la force de participer à la vie en société autrement que par téléphone, lorsqu’il s’agit de ses proches connaissances, ou au moyen de petits papiers adressés aux personnes avec lesquelles il cohabite. Depuis quelque temps déjà, Donato et Gilberto se fréquentent, passant beaucoup de temps à écouter et réécouter — « en proie à de vives émotions », confiera le second — les disques de Stan Getz. Le premier a fait découvrir « The Sound » à son ami. Lequel se serait aussitôt mis à rêver d’un Getz inspiré par la musique brésilienne… Gilberto, laissant Donato à l’extérieur (où bien d’autres allaient le rejoindre), finira par refermer sur lui la porte de son monde intime — monde irréel, mais d’autant plus fragile, et d’autant plus précieux, d’autant plus barricadé qu’il était fragile. Quand même auront-ils eu l’occasion de fabriquer ensemble plusieurs chansons, dont un mémorable Minha Saudade, l’une des plages du « Muito À Vontade » réalisé en 1962 par le pianiste à la tête de son trio. Pour saluer le compositeur qu’il fut, j’ai retenu le thème titre de cet ensemble, dans la version qu’en offrit un combo de même structure : le trio Camara[16], invité en 1966 d’un studio parisien à l’initiative de Pierre Barouh (CD 1, # 11). Dans la présentation qu’il en fait[17], Paulo Martins rappelle que nombre de commentateurs présentent le produit de cette séance comme « l’un des plus beaux albums de samba-jazz ».

        João Gilberto ne pourrait bientôt plus supporter l’existence qu’à l’isolement. Dans ce métier de vivre, la vie était finalement ce qui lui pesait le plus. Ce que les autres appelaient la vie. Et lui, sans doute, les apparences. Les encombrantes apparences, paradoxalement attachées à la matière, soumises aux lubies de l’événement, cuirassées d’illusions qui, pour son malheur, n’étaient que trop concrètes. En permanence il s’efforçait de ramener le réel à son statut d’hallucination triste. La seule vraie réalité, selon João : celle de la musique et des chansons. Dans le sublime Ho-bá-lá-lá, étrenné en 1959, dont il a écrit les paroles et la musique (CD 1, # 12), lorsqu’il parle de « trouver l’amour en écoutant cette chanson » (O amor encontrará ouvindo esta canção), chacun devrait entendre : le trouver non pas grâce à elle, mais en elle. Une belle mélodie est une fin en soi ; on ne saurait la ravaler au rang d’un artifice (artifice au sens de subterfuge ou artifice au sens de mystification). Pareille intransigeance ne vous rend guère fréquentable. Dès lors, autant prendre les devants et ne plus fréquenter personne. Après qu’Astrud l’eut quitté, cet être sans pareil a passé son temps à protéger de la désillusion le farouche amour qu’il avait en lui.

 

Vinícius ou « la folie de l’eau » (Gilda Mattoso).

        De son côté, Vinícius de Moraes ne s’épanouissait qu’en bonne compagnie. Même lorsqu’il prenait son bain — et il le prenait des journées, des nuits entières ; il était en train de le prendre quand un œdème pulmonaire l’emporta —, même alors il appréciait que ce fût l’effervescence autour de lui. Loin de le perturber, l’agitation le survoltait. Et l’eau semblait le milieu nourricier de facultés créatrices qui ne prenaient jamais de vacances. Diplomate dilettante, poète acharné. Grand collectionneur de femmes. Buveur de whisky au mérite inégalé, expert en l’art de faire danser les tables et charmeur de fantômes. Follement généreux aussi. Il se faisait des amis comme il fabriquait ses vers : avec gourmandise. De ses amis, il n’aimait rien tant que de faire ses partenaires. Ainsi arracha-t-il à leur anonymat, tour à tour, des créateurs aussi prestigieux qu’Antônio Carlos, Edu Lôbo, Francis Hime, Carlos Lyra, Toquinho — la liste serait longue. Il écrirait pour Odette Lara, Elis Regina, Maria Bethânia, Gilberto Gil, Chico Buarque. Qui n’irait pas lui exprimer sa gratitude au moyen d’enregistrements rendant hommage à ses textes ? Elizete Cardoso dès 1958, Miúcha, Maria Creuza, le groupe vocal MPB-4 et le Quarteto Em Cy — combien d’autres ? Baden Powell avait été son frère d’âme, complice en toute chose, compagnon de table, de scotch, de salle de bain. Et de scène, il va de soi. Et, avant tout, de fiévreuse procréation chansonnière. « Ensemble, raconte Jean-Paul Delfino dans son indispensable « Brasil Bossa Nova »[18], ils vont écrire (…) cinquante-huit afro-sambas dans le temps record de trois mois pendant lesquels ils sont restés enfermés chez Vinícius sans sortir une seule fois ! » Le plus fameux parolier de la chanson brésilienne est ici représenté par diverses interprétations, parmi lesquelles le Serenata de Adeus d’Elizete Cardoso dont il était aussi le compositeur (CD 1, # 13).

 

Baden Powell, l’éternel enfant prodige

        La contribution de Baden au patrimoine de l’humanité,

Augustin Bondoux la résume en quelques mots : « sans doute le plus grand guitariste sud-américain du XXe siècle ». À l’âge de huit ans, il avait décidé d’apprendre ce qu’on nomme dans son pays le violão (même au Brésil, il y a de faux amis). L’année d’après, il remportait déjà une compétition instrumentale. Enfant prodige, il le restera toute son existence. Prodige, c’est l’évidence (attestée notamment par l’ambitieuse Ouverture Afro-Brasileiras N° 2 de l’album « De Rio 0 Paris », bénéficiaire d’une nouvelle vie grâce au recueil « Baden Powell » publié par Frémeaux & Associés sous la référence FA 5012). Enfant dans la mesure où jamais il n’aura renoncé, en musique, à un idéal de pureté qui suppose, ou plutôt impose, que l’on cultive en soi une part de candeur. Disparu le 26 septembre 2000 à l’âge de soixante-trois ans, l’homme aux « mille doigts » (Claudio de Oliveira) avait la dent dure et la lèvre gourmande. La tête froide, le cœur immense. Bien que des plus réservés pas plus que le truculent de Moraes au rire indiscret, il ne faisait, ne pensait, ne vivait les choses à moitié. Étincelant, il n’en aimait pas moins évoluer dans le demi-jour avec une grâce délicate. Ainsi peut-on craindre que le brio de son jeu (voir Sambo Novo, Pt. 2, capté au festival de Montreux en 1995 CD 1, # 14) n’ait jeté un voile sur l’intimisme de son chant, d’une confidentialité si radicale que nombre de ses interventions vocales touchent au crépusculaire (voir Para não sofrer, chuchoté à Liège en 1987, CD 1, # 15). Baden fut un marchand d’émotions qui jamais n’aurait consenti à faire la retape et vous faisait crédit sans que vous le lui demandiez — crédit de votre admiration, à laquelle il préférait votre bonheur.

 

Des gars et une fille aux Champs-Élysées

        D’après Nara Leão — future diva de la samba nouvelle, alors âgée d’une quinzaine d’années seulement — Baden et/ou Vinícius se glissaient parfois parmi les squatteurs, au demeurant délicieux, qui envahissaient l’appartement qu’habitait sa famille au 3856, bâtiment des Champs-Élysées, dans Copacabana avec vue sur mer. À n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, la jeune fille de la maison, éduquée selon le principe d’indépendance, laissait la porte ouverte afin d’accueillir quiconque se présenterait sur le seuil. En particulier s’il avait une guitare à la main, ce qui d’ailleurs n’était pas rare à Rio de Janeiro, où le président de le République lui-même souscrivait à la coutume. Se découvraient ou se retrouvaient dans cet espace protégé (des contingences matérielles) les membres ailleurs épars d’une rapaziada — le mot portugais sonne mieux, on l’admettra, que son équivalent français de « bande de types » — dont Hegel eût dit qu’ils faisaient l’histoire sans savoir l’histoire qu’ils faisaient. Des pique-assiettes, mais aux prétentions modestes : ils se contentaient de partager un plat de pâtes, avalées sur le pouce entre deux bouts de chanson, deux éclats de rire, deux fulgurances verbales. Avec un peu de chance, on pouvait reconnaître parmi les convives João Gilberto et Tom Jobim, Newton Mendonça, Oscar Castro-Neves (si passionné qu’il tuait les guitares sous lui), Carlos Lyra, Roberto Menescal ou Ronaldo Bôscoli, le doyen de l’équipe.

        Ils se contentaient de peu, mais donnaient tout ce qu’ils avaient. Et même davantage que ce que la plupart d’entre eux s’imaginaient posséder, convaincus au fond d’eux-mêmes que l’or des pauvres (et, sauf peut-être Vinícius, tous l’étaient déjà en réputation), que cet or ne saurait être que de la menue monnaie. Chez Nara Leão, on dépensait son talent sans compter. On le dépensait à tort et à travers. Si l’on espérait s’en faire rembourser, ce n’était là qu’une très vague perspective, frêle, floue, fragile, toujours remise au lendemain. Tant qu’on était bien ensemble et que tout ce petit monde appréciait les trouvailles de chacun, l’éventualité du succès n’empêchait personne de dormir. L’excitation et l’alcool suffisaient bien ! Ce fut le miracle originel de la bossa nova : le génie de ses créateurs ne se regardait pas le nombril ; d’ailleurs il n’était guère conscient de sa propre existence. Certes il se manifestait dans un irrésistible élan, mais comme par inadvertance : chez les gens auxquels il fait défaut, une légende tenace veut que pareille désinvolture lui irait bien au teint.

 

        Roberto Menescal

        Encore étudiant en 1958, élève du grand Moacir Santos et précoce fondateur, avec Carlos Lyra, d’une école de guitare que fréquenteraient, entre autres, Nara, Bôscoli, Marcos Valle et Edu Lôbo, Roberto Menescal avait été remarqué et pistonné par un Jobim encore plus habile à découvrir le talent d’autrui qu’à promouvoir le sien propre. En un tournemain, Antônio Carlos saurait le convaincre de tout miser, non sur ce qui pouvait le mieux assurer sa subsistance, mais sur ce qui devait lui procurer la plus grande félicité. En peu de temps, Roberto allait gagner sa place parmi les pères fondateurs de la bossa nova. À la fois comme infatigable propagateur du genre, comme soliste des plus racés, comme chef d’orchestre. Et comme compositeur. C’est à lui que l’on doit par exemple Ah ! se eu pudesse, Telefone (The Telephone Song), Rio, Vagamente, Você, ainsi que l’inoubliable O Barquinho, toutes mélodies dont Bôscoli a écrit les paroles (CD 1, # 16) et qu’illustre dans notre sélection la version de la chanteuse Maysa Mattarazzo, née Maysa Figueira Monjardim.

 

        Ronaldo Bôscoli

        Ronaldo, journaliste, se servait des mots. Au contact de Vinícius et de Mendoça, il va les laisser se servir de lui, prenant le risque de leur rendre leur liberté. Pareille attitude exige à la fois de la témérité et de la modestie, de l’impertinence et de la tendresse, de la rigueur et de la désinvolture. Il saura trouver et maintenir ces précaires équilibres. Comme il saura naviguer avec grâce entre la douceur un peu mélancolique de Se é tarde me pardoa (CD 1, # 17) et le fantastique bon enfant, discrètement teinté de surréalisme, du fameux Lôbô Bôbô, adapté du « Petit Chaperon rouge » de Charles Perrault et des frères Grimm : « Il était une fois un méchant loup qui décida de manger quelqu’un… » (CD 1, # 18). Le parolier avait percé le secret de ce qu’on nomme à la légère la facilité, et qui n’est chez les meilleurs que l’élégance de l’application. Capter l’intérêt, susciter l’estime sans que votre travail ne sente ni le jus de crâne, ni l’huile de coude, c’est une leçon que Ronaldo Bôscoli aura donnée à ceux de ses émules capables d’en tirer profit.

 

        Newton Mendonça

        Newton (Ferreira de) Mendonça, né en février 1927, devait succomber à une attaque cardiaque en novembre 1960, peu de temps après qu’il eut réalisé son seul et unique enregistrement, « Em Cada Amor uma Canção ». Sa vie passait trop vite : comme les meilleurs jazzmen, il a su la « jouer vite lentement ». Tout s’est passé avec lui comme si, ayant deviné qu’il ne s’attarderait pas sur cette terre, il s’était livré, plutôt qu’à la frénésie créatrice qu’on pouvait attendre d’un homme en sursis, à une décantation instantanée de son œuvre. Celle-ci serait mince, mais elle serait sans déchet. De sa production, entre 1953 (Você morreû pra min, avec Fernando Lobo) et 1960 (Meditação, Discussão (CD 1, # 19), Samba de uma nota so (avec Jobim) (CD 1, # 20), en passant par l’incontournable Desafinado (1958, avec Jobim encore) (CD 1, # 21), on fait le tour en peu de temps, mais on se trouve aussi devant un exceptionnel florilège de lyrics : autant de textes discrètement majeurs, de déclarations publiques d’intention lancées par la « nouvelle vague » musicale carioca, Desafinado étant du reste la première chanson au monde où l’on relève l’expression de « bossa nova ». Précisons que, pianiste à ses débuts dans les « petits enfers », comme Antonio Carlos, Newton était aussi, très souvent, le co-compositeur de ces mélodies, son acolyte remplissant pour sa part la fonction de co-parolier. On voudrait croire que Mendonça s’en est allé, ayant vu que tout était bien et qu’il ne pourrait plus mieux faire.

 

        Antônio Carlos Jobim et les mots

        On vient d’évoquer un aspect du savoir-faire jobimien qu’il ne faut pas sous-estimer. N’eût-il harmonisé que des syllabes, des concepts, des visions, des chimères, sans avoir touché un instrument de musique de toute son existence, sans rien connaître du solfège, Tom mériterait par ses seuls textes la reconnaissance universelle, et celle du mouvement bossa nova en particulier.

        Dans sa simplicité de catalogue, dans son feint détachement d’inventaire, quoi de plus poétique qu’Aguas de Março (1972) ? De choses vues, d’images revenues en mémoire, de songes éveillés et d’émotions que les mots ne sauraient rendre, l’auteur égrène, à la suite d’une promenade dans la nature qui l’avait bouleversé sans qu’il sût pourquoi, mobile apparent, un chapelet de merveilles ordinaires (ou de banalités féériques, on ne sait trop), traduisant comme personne l’ivresse des beautés minuscules :

        Un pas, une pierre, un chemin qui chemine

        Un reste de racine, c’est un peu solitaire

        C’est un éclat de verre, c’est la vie, le soleil

        C’est la mort, le sommeil, c’est un piège entrouvert

        Un arbre millénaire, un nœud dans le bois

        C’est un chien qui aboie, c’est un oiseau dans l’air
        C’est un tronc qui pourrit, c’est la neige qui fond
        Le mystère profond, la promesse de vie…

        Ce sont les eaux de Mars, dans ton cœur tout au fond[19]

        Tom, lorsqu’il a composé cette chanson, avait déjà quarante-cinq ans. Contrairement au whisky (qu’il lui faudrait remplacer par la bière Heineken sans beaucoup plus de profit pour sa santé), la maturité lui avait réussi. Sans parvenir cependant à ternir le moins du monde les chefs-d’œuvre qu’il avait signés en tant que compositeur-parolier aux cours des années précédentes : Vivo Sonhando, Wave, Outra Vez, Corcovado (CD 1, # 22), Fotografia, Samba do Avião, Esse Seu Olhar, pour n’évoquer que les plus souvent repris. Jobim se montrait aussi prolifique que son compère Mendonça l’était peu. Mais Newton, délibérément, fut exceptionnel par exception. Tandis qu’Antônio Carlos le fut par habitude, de la façon la plus naturelle du monde. D’un côté, le compte-goutte ; de l’autre, la cataracte.

 

        Carlos Lyra

        Un pied dans le lyrisme mélodique, un pied dans le lyrisme verbal : Carlos (Eduardo) Lyra, lui non plus, n’a pas jugé que la position fût si acrobatique que cela. Peut-être ses meilleurs textes ne rivalisent-ils pas avec ses plus belles compositions[20] (telles Lôbô Bôbô et Se e tarde me perdoa, avec Bôscoli, ou Coisa mais linda (CD 1, # 23), Minha Namorada et Você e eu avec de Moraes) mais, lorsqu’ils s’y adossent, ils ne leur nuisent pas non plus. En témoignent des chansons qui, six décennies plus tard, savent toujours non seulement séduire mais émouvoir, comme si, dans l’intervalle, elles avaient été capables de renaître chaque jour. Je pense à Ciûme, Menina, Influencia do Jazz et surtout à Maria Ninguém (CD 1, # 24), que me fit découvrir la version uniquement instrumentale de Zoot Sims en 1962 et dont Brigitte Bardot s’est emparée deux ans plus tard.

        Vocaliste occasionnel, Jobim déployait son charme dans l’exercice, comme en toute circonstance. Pour autant, il serait abusif de prétendre qu’il y excellait. En vérité, il était assez conscient de ce qu’il ne pouvait pas espérer de sa voix pour ne jamais tenter le diable. Et assez respectueux de son public pour ne pas se contenter de trop peu quand il la sollicitait. Avec « Carlinho », toutefois, on se hisse au niveau supérieur. Une abondante discographie, inaugurée avec l’album « Bossa Nova », lancé en 1959, présente un artiste singulier, singulièrement apte à marier une conception intimiste de son art à une approche toujours pleine de chaleur. Cette performance lui valut de’ailleurs l’admiration de ses pairs. Caetano Veloso voyait en lui un créateur à qui la beauté venait manger dans la main. Mieux : quelqu’un en somme, qui ne savait pas comment l’éviter.

 

        Nara Leão

        Au lycée, Nara Leão dormait beaucoup, ayant en retard toute une enfilade de nuits blanches. Avec une constance qu’il faut porter à son crédit, elle rêvait en dormant de ce qui la faisait rêver debout. À savoir la musique, la musique, la musique… En revanche, entourée de tous ces parasites magnifiques dont elle tenait un savoir et une sensibilité qui la plaçaient au-dessus de son âge, elle ne pensait pas avoir les épaules assez larges, la voix assez belle, les doigts assez agiles pour vivre de cet art comme ses commensaux y parvenaient plus ou moins. À seize ans, elle laisse ses études l’abandonner et, à l’image de Ronaldo Bôscoli, occupe un emploi de reportrice journaliste dans un quotidien de Rio, Dernière heure). Tout en suivant ses amis sur les podiums des clubs dès que l’occasion se présente, mais à titre de membre honoraire. « Pour se divertir », disait-elle. Jusqu’à ce que la déferlante de la bossa nova l’emportât et la déposât là où, à part elle-même, chacun savait qu’elle devait aller. En 1963, elle figure au programme d’une comédie musicale signée par de Moraes et Lyra : « Pauvre petite fille riche » et contribue à la réussite du « Depois do Carnaval »[21], enregistré par le dernier nommé. L’année suivante, la compagnie Elenco lui fait réaliser son premier disque personnel. Qui défraie la chronique et, en un tournemain, fait de « la muse de la bossa nova » sa reine.

Vague et vogue

        La samba new-look avait été le mouton à cinq pattes, sinon le mouton noir d’une musique populaire jalouse à raison de ses traditions et à tort de ses habitudes. La voici devenue une mode, « une chose redondante » pour citer Caetano Veloso, une parole toute neuve dont, déjà, on n’apprécie plus que l’écho, sinon le radotage. Dès 1961, on repérait, à l’affiche d’un disque du quintette vocal Os Cariocas[22], un titre qui devait se révéler prophétique : de mots, prophétisait la situation que je viens d’évoquer : Tudo é Bossa (« Tout est bossa ») (CD 1, # 2).

        Bossa : « vague (de mer) » est l’une des traductions possibles du terme. Quand la vague se mue en vogue, on n’est pas loin de noyer le poisson. Entendez de perdre de vue l’essentiel. Et quand il s’agit d’un poisson volant, comme l’est la bossa nova, c’est soi-même que l’on vole. Tant de musiques auront ainsi vendu leur âme, persuadées de protéger ainsi la poule aux œufs d’or. Celle-ci n’a pas échappé à la règle. N’oublions pas cependant que certaines vagues sont insubmersibles : elles font seulement semblant de mourir sur le sable des amours lasses. Jusqu’à ce jour, il s’est toujours trouvé une fenêtre par laquelle nous est revenue la bossa nova que d’aucuns avaient mise à la porte.

 

Post-scriptum

        Dans notre sélection de pièces paradigmatiques, João Gilberto se taille la part du lion. A little too much ? Just enough for him!. Plus que quiconque, il aura été et il demeurera l’incarnation même de la musique dont, avec Jobim, il avait jeté les bases. Je l’ai rapporté dans le livre : Pierre Barouh allait encore plus loin. « J’ai sur la bossa nova, confiait-il en 1986, des idées très péremptoires. Pour moi, la bossa nova n’existe qu’à partir d’un homme, d’un artiste qui est João Gilberto… Elle n’existe que par les obsessions d’un individu qui est João Gilberto…» Le procès-verbal est irrécusable. Le verdict ? Il n’a que le défaut d’ostraciser celui qu’on veut porter aux nues. On préfère une vision moins radicale, qui ne fasse pas de la bossa nova le pré carré d’un seul homme. Le dépeuplement, dirait le seigneur de La Palice, nuit gravement à la diversité, et l’on ne déteste pas qu’un art présente plusieurs visages, porte plus d’un costume et même assume des façons d’être contrastées. Dans cette mesure, il n’est pas si mauvais qu’à l’occasion il puisse se contredire, voire se déclarer la guerre. Ni qu’il accueille en son sein, à titre de mandataires par intérim, des personnalités venues d’un autre univers. La volcanique Elis Regina, loin des pudeurs et des murmures, en offrit le meilleur exemple.

        Au reste, on ne saurait nier que plus de créateurs que nous n’en avons cités ont porté le genre sur les fonts baptismaux. Ou furent à tout le moins pour lui pour lui des compagnons de route de bonne compagnie. Des anthologies telles que « Les précurseurs de la bossa nova », « Les poètes de la chanson brésilienne », « La Sainte Trinité », « Brésil instrumental 1949-1962 » se révèlent riches en pépites orpaillées par des personnages qui, en France, ne sont (encore ?) connus que d’une poignée de gens. Nul ne me fera admettre par exemple que, dans l’avant-dernier de ces coffrets, le Maxima Culpa de Sérgio Ricardo[23] (cf CD 1, # 26, n’est pas un petit bijou. Et comment résister au charme d’Alma Brasileira, délicatement ciselé par le guitariste « Garoto » (Anibal Augosto Sardinha) plusieurs années avant que l’expression « bossa nova » ne fît florès. Il figure pour sa part au générique de « Les précurseurs… » (cf CD 1, # 27).

        Un dernier point : outre le trio Camara, on aurait pu mettre à l’honneur d’autres formations représentatives de la bossa nova instrumentale. Le sextette du pianiste Sérgio Mendes connut son heure de gloire aux États-Unis dans les années soixante, grâce en particulier à une interprétation consensuelle du Mas que Nada de Jorge Ben. On ne devrait moins encore faire l’impasse en tout cas, sur la contribution d’Oscar Castro-Neves en tant que pionnier brésilien de la bossa nova en grand orchestre. Une contradiction dans les termes, n’aurait pas manqué de s’écrier Barouh. Mais dont le responsable, musicien jusqu’au bout des ongles, se tire à son avantage en évitant les pièges du clinquant et du tumultueux dans lesquels d’autres, tel l’incorrigible « Wagner du jazz » Stan Kenton, donneront tête baissée (l’insignifiance en couronnement de l’excès). Notons au passage que dans le domaine du brio catastrophique, la palme revient sans doute à Enoch (Henry) Light, chef d’orchestre new-yorkais pour dancings mondains devenu dans les années cinquante un éditeur phonographique tout acquis aux fantasmes de ces hifimaniaques amateurs d’un genre à part, qui se passeraient volontiers de la musique pour savourer dans toute sa pureté le son des appareils destinés à la restituer. De son « Big Band Bossa Nova » (Command RS 844 SD), la vanité n’égale que la suffisance.

        L’album homonyme de Castro-Neves (où celui-ci joue du piano plutôt que de la guitare et s’abstient de chanter) n’est sûrement pas inoubliable. Mais, Aula de Matematica en fait foi (cf CD 1, # 28), il gagne à être connu. Ne serait-ce que parce qu’il tente une expérience dont il n’existait à l’époque qu’un seul autre exemple : un troisième « Big Band Bossa Nova » (Verve V6-8494), soumis à l’appréciation du public par Stan Getz et l’arrangeur Gary McFarland. Nous y reviendrons.

NOVA IORQUE E A OUTRA AMÉRICA

 

Bossa nova en location

        La bossa nova nous apportait son feu tranquille et nous regardions ailleurs. Lorsque, en juillet 1961, retour d’une tournée en Amérique du Sud, Curtis Fuller glissa dans un recueil abusivement baptisé « South American Cookin’ »[24] un One Note Samba[25] qui, en l’état de nos connaissances, serait la toute première interprétation d’un thème de Jobim gravée au-delà de l’équateur (cf. CD 2, # 1), qui s’en émut ? Il n’y avait d’ailleurs pas de quoi. Cette version inaugurale n’a certes rien de regrettable, faute de quoi elle ne figurerait pas ici en dépit de son importance historique ; ce qui la handicape c’est, paradoxalement, le soin qu’elle met à ne pas trahir le modèle original.

        Soucieux de respecter à la lettre les règles qu’on vient de lui enseigner à Rio, le batteur Dave Bailey, tendu comme il ne l’avait jamais été lorsqu’il épaulait Gerry Mulligan, Lee Konitz ou Lou Donaldson, ne commet aucune faute. En revanche, il renonce d’emblée à capter dans son jeu un peu de l’esprit de la musique. Ainsi manque-t-il à faire vivre une formule rythmique qu’il reproduit pourtant avec un scrupule qui l’honore (ce ne sera pas le cas de tous ses confrères). Il faudrait plutôt qu’il se sente assez libre, sinon pour la mettre en danger, au minimum pour la laisser danser. D’une certaine façon il joue trop juste : faire de son mieux le musicien de bossa nova, faute de l’être, est la seule ambition qu’il puisse se permettre. L’exactitude ne lui pose aucun problème ; la vérité, c’est une autre histoire. On dirait qu’il s’applique à articuler ce qui devrait rester un phénomène ondulatoire. L’oscillation, le balancement, on les espère en vain. C’est en somme le swing qui s’est envolé : cette chose magique, grâce à quoi la tension ne sait plus si elle habite la détente ou si c’est la détente qui est venue loger chez elle.

        Rien ne sert de partir à point, il faut courir — courir pour échapper à son ombre, et dans la bonne direction. Le One Note Samba du tromboniste ne court pas : personne ne l’attend : il marque le pas. Non sans timidité, il s’est quand même aventuré assez loin de sa zone de confort pour ne plus avoir, de ce côté-là, « un ailleurs où aller » (pour citer Sonny Rollins). Alors il ne mène nulle part. Les tentatives ultérieures l’ignoreront : celle de Herbie Mann, peut-être dès la fin de cette année 1961, celle de Dave Brubeck en janvier 1962, celle de Stan Getz et Charlie Byrd le mois suivant. Fuller et ses gens n’auront été les pionniers de rien. L’expérience fut sans lendemain, réduite à une anecdote i instantanément dans le pittoresque.

        Ce sera le péché originel de la bossa nova revisitée par les jazzmen : la question qui importe, celle de la légitimité, de la nécessité, de l’urgence d’une expression esthétique singulière, irréductible à toutes les autres, celle de son enracinement dans une communauté humaine autonome, elle a d’entrée abandonné aux Brésiliens le souci d’y répondre, se contentant pour sa part d’être un luxe, soumis au seul principe de plaisir. L’authenticité n’est pas un costume qui se loue pour aller au bal. Les questions essentielles que se posent les créateurs du genre, ceux qui, serait-ce avec un talent majuscule, se contentent d’en exploiter les thèmes préfèrent les ignorer. Tous, je le crains, n’en ont même pas soupçonné l’existence.

        La bossa nova boréale ne ménage pas ses charmes. Cependant, déracinée culturelle riche d’avenir mais sans passé propre, trop souvent elle implique moins d’art que d’artifice. Elle n’est pas comme celle des cariocas, ou comme le fut le blues, une façon d’être au monde. L’expression d’une volonté farouche de cristalliser l’imaginaire, avec l’aide de la mémoire collective, pour en faire un monde concurrent d’une trop discutable réalité. Pour ceux-là mêmes qui ont pu en tirer leur existence à New York, à Hollywood, à Tokyo, en bien d’autres endroits de la planète, elle n’aura jamais été une façon de vivre. Pour João Gilberto, elle fut l’autre nom de la vie. La « vraie ». C’est-à dire le mensonge matérialisé d’un homme qui, à cause de cela, ne fut ni un chanteur à voix, ni un chanteur à voir, environné de danseuses court-vêtues, de briseurs de guitares, d’assommeurs de tambours et de charmeurs de lumières. Seulement un faiseur d’illusions plus performant que les autres.

 

Stan Getz et le malentendu

        C’est le genre d’ironie que tout le monde ne peut pas entendre mais, pour ce qui est de sa renommée à travers le monde, Stan Getz aura fait le plus grand bien à la bossa nova en la trahissant. Sans l’avoir voulu, probablement sans le savoir. Au demeurant, qu’importe ? À quoi bon chercher des circonstances atténuantes à un bienfait. Les inventeurs de cette musique furent à tout le moins décontenancés, bien souvent ulcérés, lorsqu’ils découvrirent l’image infidèle que « Jazz Samba » (cf. É Luxo So : CD 2, # 3) en offrait et qui allait sans tarder se répandre, d’abord aux États-Unis puis sur toute la surface du globe. Au surplus, il n’était pas de nature à les consoler que cet outrage fût commis sous le patronage d’un homme qu’ils admiraient sans mesure et dont, à l’image de Gilberto lui-même, ils se revendiquaient les débiteurs.

        Les plus illustres, à commencer par Baden Powell, ont donné en spectacle leur dépit, leur colère, leur ressentiment. Parfois sans mâcher leurs mots. Non seulement on peut les comprendre : on le doit. Il était dans leur rôle et même il leur incombait d’exiger qu’on respectât l’œuvre née de leurs singes visionnaires. Plusieurs, toutefois, finiraient par comprendre que c’est en la dénaturant que Getz, ses rivaux prestigieux[26], ses anciens équipiers[27], ses profiteurs de gloire, ses plagiaires au petit pied, le troupeau des moutons de Panurge heureux de patauger dans les ornières, tous ces parasites de leur création avaient assuré à celle-ci un retentissement dont ils n’auraient pas osé rêver. Leur chance avait été que Getz, en toute candeur, eût accompli en un tournemain une vulgarisation qui pour une fois, par un prodigieux concours de circonstances, un alignement de planètes tout à fait imprévisible[28], n’était pas une dégradation. Car, si « Jazz Samba » assume assez mal le titre qu’il affiche, cet enregistrement n’en compte pas moins parmi les plus irremplaçables productions de son signataire. En tout cas parmi celles qui chantent de la manière la plus irréductiblement getzienne.

        La cause est entendue : par négligence, à la suite d’un malentendu qu’on devrait plutôt qualifier de pas-assez-bien-entendu, « The Sound », à son insu, a manqué de respect à de la bossa nova. Il n’empêche que, pour lui, elle aura eu toutes les bontés — et ce n’est pas seulement à son portefeuille que je songe. À y bien réfléchir, on juge inévitable qu’un saxophoniste de sa trempe, qui avait le lyrisme comme langue maternelle, ait tiré le plus grand bénéfice de mélodies susceptibles de provoquer en lui un orage émotionnel. Qui a croisé le personnage connaît la maladresse agressive dont il pouvait faire preuve dans ses relations avec autrui (ses partenaires en particulier), mais aussi l’hypersensibilité qui, sans doute, en était la cause. Un homme de ce caractère, prompt à fondre en larmes à la moindre contrariété (j’en fus témoin), reçoit avec violence de son environnement des impressions auxquelles la plupart des gens, fussent-ils eux-mêmes de considérables poètes, attachent peu de prix.

        Il inscrivait à son répertoire, bien entendu, des thèmes qui le touchaient, si possible au plus profond. Mais, chaque jour, nécessairement, ils se montraient un peu moins aptes à la bouleverser. Les compositions de Tom Jobim et d’Ary Borroso, aux effets imprévisibles sur ses affects, lui offraient l’occasion d’être envahi par des sentiments qui n’étaient pas seulement l’écho de sentiments déjà éprouvés. C’est de renaître à l’émerveillement qu’il s’agit. De renaître à l’enfance. Le désir s’en trouve réamorcé. Grâce à ces morceaux, Gertz ne se borne plus à gérer ses avoirs : il va chercher fortune, comme auprès de Woody Herman lorsqu’il avait vingt ans. Et voilà pourquoi « Jazz Samba » est bien autre chose qu’un disque délicieux. Et voilà encore pour quelle raison des œuvres en elles-mêmes objectivement aussi admirables que celle-là, voire davantage — « Big Band Bossa Nova », en août 1962 (cf. Bim Bom : CD 2, # 8), ou « Getz/Gilberto », en mars 1963 — ne distillent pas tout à fait la même qualité d’émotion, ne troublent pas au même point que leur brouillon. Le saxophoniste y arpente en maître des lieux un territoire déjà connu de lui. Et de nous. En février 62, il l’explorait seulement. Les révélations n’ont lieu qu’une fois. Grâce à quoi son disque apparaît en même temps si imparfait et si fascinant. Un monde tout neuf s’y matérialise. Chef-d’œuvre de singularité : il est déjà trop tard pour le réinventer.

 

L’inaccessible idéal

        Ce monde est apparu. Getz ne l’a pas fait exprès. Il n’attendait rien de précis d’une séance à laquelle il n’avait pas souhaité participer jusqu’à ce que Charlie Byrd lui arrachât son consentement. D’autres jazzmen épris de bossa nova tenteront pour leur part, avec plus ou moins de bonheur selon les cas, d’aborder un univers dont les meilleurs pressentaient qu’il avait tout d’un idéal inaccessible, ne fût-ce que parce qu’il n’avait pas besoin d’eux. D’aucuns espéreraient s’en rapprocher en impliquant dans l’aventure des confrères brésiliens. Ce serait notamment le cas du flûtiste Herbie Mann qui, en octobre de cette même année 1962, voulut s’assurer le concours de Baden Powell, puis du Bossa Nova Rio Group de Sergio Mendes, puis d’Antonio Carlos, puis de l’école de samba de Zezinho, puis du trio de Luis Carlos Vinhas. Cannonball Adderley l’imiterait deux mois plus tard en engageant Mendes à son tour (cf. O Amor em Paz : CD 2, # 16). Certains, hélas, démissionneraient d’entrée et limiteraient leurs ambitions aux applaudissements d’un public peu enclin à s’encombrer d’exigence. De moins falotes personnalités ont d’une certaine façon renoncé elles aussi à rivaliser avec les sud-américains en se gardant de chasser sur leurs terres lorsqu’elles empruntaient leurs chansons. Quincy Jones, par exemple, reste campé sur des positions préparées à l’avance. À un autre leader de big band, Shorty Rogers[29], l’idée ne viendra pas qu’en ressuscitant l’esthétique du West Coast Jazz dont il avait été l’un des fondateurs au cours de la décennie précédente, il se fût montré autrement convaincant. En vérité, on peut leur préférer, dans le même exercice, des musiciens qui pourtant n’ont pas tenté, en dépit des pressions exercées par leurs producteurs, de se faire prendre pour ceux qu’ils n’étaient pas : Sonny Rollins (cf. The Night Has A Thousand Eyes : CD 2, #, # 4), Miles Davis et Gil Evans (cf. Corcovado : CD 2, # 6), Ike Quebec (cf. Favela : CD 2, # 12) ou Charlie Rouse (cf. Velhos Tempos : CD 2, # 12)[30]. Ils n’ont pas voulu servir la bossa nova mais, à leur irréductible manière, ils lui ont fait honneur. L’orgueil n’a pas que de mauvais côtés.

 

Le précurseur caché

        « Bru » a devancé « The Sound » dans la jazzification de la bossa nova, mais le pot aux roses ne fut découvert que plus tard, en raison d’une faute d’inattention commise par les historiens. Si la péripétie est fâcheuse, du moins l’explique-t-on sans peine.

        En 1963, la compagnie Columbia lance sur le marché le « Bossa Nova USA » du Dave Brubeck Quartet. Le microsillon trouvera moins d’écho dans le public et auprès de la critique internationale que « Time Out » en 1959, ou même « Time Further Out », prolongement du précédent, comme lui voué aux mètres impairs (rhythm odd time signatures) et publié deux ans plus tard sans déchaîner les mêmes passions. Peut-être la pochette originale n’en faisait-elle pas mention, mais nul ne s’arrêtera au fait que la moitié de ses plages — cinq — avaient été gravées dès le 3 janvier 1962, soit près de six semaines avant « Jazz Samba ». Et nul ne s’avisera non plus que c’est parmi ces pièces-là que se rencontrent les plages qui cautionnent le mieux le titre de l’ensemble. Sur ce point et pour ce que j’en sais, justice n’aura été rendue à Brubeck que bien après la bataille : trop tard pour que la plupart des commentateurs ressentent le besoin de le rétablir dans ses droits.

Son mérite pourtant n’était pas mince. En tant que pianiste de l’orchestre, tout d’abord : pas plus qu’il ne se laisse éclipser par Desmond lorsque la subtilité est de mise, il ne vient le bousculer ou lui marcher sur les pieds[31]. Ensuite au titre de maître d’œuvre. Non seulement succédant immédiatement à celle de Curtis Fuller, sa formation apparaît pionnière dans le domaine qui nous intéresse, non seulement elle prend plus de risques et manifeste un plus grand appétit, non seulement elle affiche davantage d’assurance et connaît davantage de réussite, non seulement elle évite autant que possible (pas toujours il est vrai) de choquer les puristes du genre aussi frontalement qu’allait bientôt le faire Getz — non seulement tout cela : encore Dave s’était-il aventuré à composer lui-même certaines des bossas au programme. Notamment Vento Fresco (Cool Wind) (cf. CD 2, # 2). Ce petit bijou à lui seul justifie pleinement l’opinion d’un critique du magazine Billboard, selon laquelle on avait affaire avec ce recueil à du Brubeck de tout premier choix («first-class») — annonciateur en tout cas, grâce à des éléments tels que celui-là, du Brubeck quasi impressionniste de la dernière période : celui qui cisèle en solitaire des pièces épurées, à la délicatesse et à la luminosité desquelles les mélomanes auraient dû, là encore, montrer moins timidement leur gratitude[32]. Le mécompte de Dave, après l’accueil relativement assez tiède réservé à « Bossa Nova USA », nous apprend quelque chose dont tout le monde ne se doutait pas : il arrive que les hommes fassent l’histoire et que l’histoire elle-même ignore l’histoire qu’ils ont faite.

 

“We live in two different worlds”[33]

        En guise de conclusion, on serait tenté pour clarifier les choses de distinguer entre l’usage et la coutume. Celui-là suggère une façon de faire, quand celle-ci commande ce que j’ai nommé plus haut une façon d’être. La distinction est commode. Ce qui incommode est qu’elle porte préjudice à la bossa nova occidentalisée, dans la mesure où, en dernière analyse, elle conteste à cette dernière le droit d’avoir une âme pour n’être qu’un procédé. D’évidence, les États-Unis, l’Europe puis l’Asie se sont gavés d’ersatz qu’ils se sont en outre attachés à promouvoir, dans l’espoir de les exporter à leur tour. Qu’il existe une, des bossas-novas de seconde main et/ou de seconde zone, personne ne va le nier. Mais, nous en apportons ici la preuve matérielle, il existe aussi une, des bossas-novas inauthentiques par essence qui, pour autant, disent leur propre vérité et la disent d’une manière admirable. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le Desafinado de Dizzy Gillespie (cf. CD 2, # 5) ne s’affirme-t-il pas comme l’une des plus exquises versions de ce thème ? Et si c’est bien le cas, qui va s’inquiéter de sa conformité à je ne sais quel dogme ? J’irai même plus loin : si Dizzy, s’exprimant, n’exprimant que lui-même à l’aide d’une bossa nova, n’en respecte pas tout à fait — et ce pourrait être pas du tout — le cahier des charges, c’est pour nous tout bénéfice ! Au lieu d’une belle musique, nous en avons deux.

        Tout serait plus simple, je crois, si chacun voulait bien entendre que deux histoires distinctes nous sont contées. D’une part il est question d’une une bossa originelle, née au Brésil où elle s’est épanouie. D’autre part, on évoque une bossa certes dérivée de la première mais qui, contrainte d’entrée de jeu à satisfaire ses propres besoins avec les moyens du bord, n’a eu d’autre choix que de conquérir d’entrée de jeu son autonomie : ce fut l’heureux envers de son insuffisance.

        Justement parce qu’ils se voyaient acculés à mal jouer la bossa nova, de grands jazzmen ont fort bien joué l’indéfinissable musique qu’ils lui substituaient. Pour brouiller les cartes, hélas, les deux créations portaient le même nom. Ce qui n’eût encore été qu’un moindre mal si la seconde n’avait emprunté à la première ses plus communes apparences, celle-ci revendiquant au surplus d’être l’obligée de celle-là.

 

        L’ultime enregistrement officiel du tandem Stan Getz-João Gilberto a eu lieu à New York le 21 mai 1975, avec la participation d’Oscar Castro-Neves, du génial percussionniste Airto Moreira et de la chanteuse Heloísa Buarque de Hollanda, plus connue sous le nom de Miúcha, — entre autres comparses. Quelqu’un a eu l’idée de baptiser le disque[34] Heloísa Buarque de Hollanda, « The Best Of Two Worlds » : Le meilleur de deux mondes... Il était difficile d’en dire tant avec si peu de mots.

 

Alain Gerber

 

 

© Frémeaux & Associés 2025


 

 

 

 

BOSSA NOVA – Programme

 

CD 1 - RIO DE JANEIRO

1. HEITOR VILLA-LOBOS : Bachiana Brasileira N° 5(Heitor Villa-Lobos). Villa-Lobos (comp, dir), Victoria de Los Angeles (soprano) et 8 violoncellistes. 10-11 mai 1956 (in « Heitor Villa-Lobos, sa musique et ses interprètes », quadruple CD Frémeaux & Associés FA5697).             6’19

2. DICK FARNEY & LUCIO ALVES : Tereza da Praia (Antônio Carlos Jobim/Billy Blanco. Dick Farney, Lucio Alves (chant), accompagnés par le conjunto instrumental de Jobim. 1954 (in « Les précurseurs de la bossa nova 1948-1957 », double CD Frémeaux & Associés FA5216).         2’47

3. JOHNNY ALF : Rapaz de Bem (Johnny Alf). Johnny Alf (piano et chant) et son trio. 1955 (dans le même recueil que le précédent).                2’39

4. ANTÔNIO CARLOS JOBIM & VINÍCIUS DE MORAES : Se Tôdos Fôssem Iguais A Você (Antonio Carlos Jobim/Vinícius de Moraes). Roberto Paiva (chant), Luiz Bonfá (guitare solo), orchestre sous la direction de Jobim, chœurs non identifiés. Novembre 1956 (dans le même recueil que le précédent).           3’34

5. LUIZ BONFÁ : Luzes do Rio (Luiz Bonfá). Luiz Bonfá (guitare). 1959, in « Brésil instrumental. Solistes et virtuoses brésiliens 1949-1962 », triple CD Frémeaux & Associés FA5624.            2’28

6. JOÃO GILBERTO : Um Abraço no Bonfá (João Gilberto). Gilberto (guitare) et un batteur non identifié. 1960 (in « João Gilberto », CD Frémeaux & Associés FA5371, regroupant les trois premiers chefs-d’œuvre de l’artiste).        1’40

7. ELIZETE CARDOSO : Outra Vez (Antônio Carlos Jobim). Elizeth Cardoso (chant), Antônio Carlos Jobim (piano, arrangement, direction d’orchestre), João Gilberto (guitare) et une formation de studio comprenant des cordes dont le violoniste Irany Pinto, des vents, un flûtiste et une section rythmique. 1958 (in « Les poètes de la chanson brésilienne », double CD Frémeaux & Associés FA5876).              1’55

8. JOÃO GILBERTO : Chega de Saudade (Antônio Carlos Jobim/Vinícius de Moraes). João Gilberto (guitare et chant) et une formation de studio conduite par Antônio Carlos Jobim (piano et arrangement). Juillet 1958 (comme pour # 6).       2’03

9. DORIVAL CAYMMI : Samba da Minha Terra (Dorival Caymmi). Dorival Caymmi (guitare et chant). 1957 (in « Les poètes de la chanson brésilienne » double CD Frémeaux & Associés FA5876).         1’53

10. JOÃO GILBERTO : Samba da Minha Terra (Dorival Caymmi). João Gilberto (guitare et chant), Walter Wanderley and his group. 1961 (comme pour # 6).    2’22

11. TRIO CAMARA : Muito a Vontade (João Donato). Fernando Martins (piano), Edson Lobo (contre­basse), Nelson Serra (batterie). 1966 (in “Le Trio Camara”, CD Frémeaux & Associés FA562).             2’31

12. JOÃO GILBERTO : Ho-bá-lá-lá (João Gilberto). Comme pour Chega de Saudade (plage 8). 1959 (in « Bossa nova 1958-1961 ‘La Sainte Trinité’ », double CD Frémeaux & Associés FA5363).          2’14

13. ELIZETE CARDOSO : Serenata de Adeus (Vinicius de Moraes). Elizeth Cardoso (chant) et même formation que pour Outra Vez (plage 7). 1958 (in « Les poètes de la chanson brésilienne », double CD Frémeaux & Associés FA5876).   3’06

14. BADEN POWELL : Samba Novo, Pt. 2 (Baden Powell). Baden Powell (guitare solo et arrangement). Juillet 1995 (in « Baden Powell », double CD Frémeaux & Associés FA5012).              4’39

15. BADEN POWELL : Para Nâo Sofrer (Antônio Carlos Jobim). Powell (guitare solo et arrangement).Avril 1987 (in « The Girl from Ipanema, Live in Liège », CD Frémeaux & Associés FA8607).     2’52

16. MAYSA (MATTARAZZO) : O Barquinho (Roberto Menescal/Ronaldo Bôscoli). Maysa Matarazzo (chant), accompagnée par une formation de studio non identifiée ; arrangement et orchestration de Menescal et Luiz Eça. 1961 (comme pour Ho-bá-lá-lá, plage 12).         2’18

17. SYLVIA TELLES : Se é tarde me perdoa (Carlos Lyra/Ronaldo Bôscoli). Sylvia Telles (chant), accompagnée par une formation de studio non identifiée. 1960 (in « Les poètes de la chanson brésilienne » double CD Frémeaux & Associés FA5876).          1’43

18. JOÃO GILBERTO : Lobo Bobo (Carlos Lyra/Ronaldo Bôscoli). João Gilberto (guitare et chant) et une formation de studio conduite par Antonio Carlos Jobim (piano et arrangement). 1959 (in « João Gilberto » CD Frémeaux & Associés FA5371)   1’21

19. SYLVIA TELLES : Discussão (Antônio Carlos Jobim/Newton Mendonça). Sylvia Telles (voc), Maestro Gaya (arrangement) et une formation de studio non identifiée. 1959 (in « Bossa nova 1958-1961 ‘La Sainte Trinité’ », double CD Frémeaux & Associés FA5363).              1’56

20. JOÃO GILBERTO : Samba de uma Nota Só (Antônio Carlos Jobim/Newton Mendonça). João Gilberto (chant et guitare) et une formation de studio conduite par Antônio Carlos Jobim (piano et arrangement). 1958 (comme pour Lobo Bobo, plage 19).   1’41

21. JOÃO GILBERTO : Desafinado (Antônio Carlos Jobim/Newton Mendonça). João Gilberto (chant et guitare) et une formation de studio conduite par Antonio Carlos Jobim (piano et arrangement). 1958 (comme pour le précédent).           2’03

22. SYLVIA TELLES : Corcovado (Antônio Carlos Jobim). Sylvia Telles (chant), accompagnée par une formation de studio non identifiée. 1960 (in « Les poètes de la chanson brésilienne » double CD Frémeaux & Associés FA5876).   2’34

23. CARLOS LYRA : Coisa mais linda (Carlos Lyra/ Vinícius de Moraes). Lyra (chant), accompagné par une formation de studio non identifiée avec cordes. 1961 (comme pour Discussâo, plage 19)     1’29

24. CARLOS LYRA : Maria Ninguém (Carlos Lyra). Lyra (chant), accompagné par une formation de studio non identifiée avec cordes. 1960 (comme pour le précédent).      2’57

25. OS CARIOCAS : Tudo é Bossa (Miguel Gustavo/Alcyr Pires Vermelho). Os Cariocas (chant), sans doute accompagnés par eux-mêmes. 1961 (in « Bossa nova 1958-1961 ‘La Sainte Trinité’ », double CD Frémeaux & Associés FA5363).            2’08

26. SÉRGIO RICARDO : Maxima Culpa (Sérgio Ricardo). Sérgio Ricardo (chant) et une formation de studio sous la direction de Lindolfo Gaya. 1960 (comme pour le précédent).       2’00

27. ANIBAL SARDINHA “GAROTO”: Alma Brasileira (Radamés Gnattali). « Garoto » (guitare solo). Vers 1953 (in « Les précurseurs de la bossa nova 1948-1957 », double CD Frémeaux & Associés FA5216).    1’31

28. OSCAR CASTRO-NEVES : Aula de matematica (Antônio Carlos Jobim/Marino Pinto). Castro-Neves (piano, direction d’orchestre), Clelio Ribeiro (trompette), Antônio Norato (trombone), Emilio Baptista, Genaldo, Hélio Marinho, Ze Bodega (José de Araujo Oliveira) (saxophones), Henry Percy Wilcox (guitare), Iko Castro-Neves (contrebasse), Roberto Pontes-Dias (batterie), Chico Feitosa, Gilson, Wilson das Neves (percussion), Astor Silva (arrangeur). 1962 (Audio Fidelity AF 5983)  3’38

71’21 (musique seule)

 

 

CD 2 - (quelque chose sur l’Amérique du Nord)

1. CURTIS FULLER : One Note Samba (Antônio Carlos Jobim/Newton Mendonça). Curtis Fuller (trombone), Tommy Flanagan (piano), Jymie Merritt (contrebasse), Dave Bailey (batterie). Probablement New York, 23 août 1961 (in “South American Cookin”, LP original Epic LA 16020).           4’11

2. DAVE BRUBECK : Vento Fresco (Cool Wind) (Dave Brubeck). Dave Brubeck (piano), Paul Desmond (saxophone alto), Gene Wright (contrebasse), Joe Morello (batterie). New York, 3 janvier 1962 (in « Bossa Nova in USA – 1961-62 », triple CD Frémeaux & Associés FA5482).          3’34

3. STAN GETZ & CHARLIE BYRD : É Luxo Só (Ary Barroso/Luis Peixoto). Stan Getz (saxophone ténor), Charlie Byrd (guitare), Gene Byrd (guitare d’accompagnement), Keter Betts (contrebasse), Buddy Depenschmidt (batterie), Bill Reichenbach (percussion). Washington, D.C., 13 février 1962 (comme pour le précédent).              3’44

4. CAL TJADER : Se É Tarde Me Perdoa (Carlos Lyra/Ronaldo Boscoli). Cal Tjader (vibraphone), Paul Horn, Don Shelton, Bernie Fleisher, Gene Cipriano, John Lowe (anches), Clare Fischer (piano), Laurindo Almeida (guitare), Freddie Schreiber (contrebasse), Johnny Rae (batterie), Milt Holland (percussion). Los Angeles, 5 mars 1962 (in « Bossa Nova in USA – 1961-62 », triple CD FA5482).                  2’49

5. SONNY ROLLINS : The Night Has A Thousand Eyes (Buddy Bernier/Jerry Brainin). Sonny Rollins (saxophone ténor), Jim Hall (guitare), Bob Cranshaw (contrebasse), Ben Riley (batterie). New York, 5 avril 1962 (in (“The Quintessence. New York – Lenox – Los Angeles”, double CD Frémeaux & Associés FA3064).     9’12

6. DIZZY GILLESPIE : Desafinado (Antônio Carlos Jobim/Newton Mendonça). Dizzy Gillespie (trompette), Leo Wright (flûte), Charlie Ventura (saxophone basse), Lalo Schifrin (piano), Chris White (contrebasse), Rudy Collins (batterie), Carmen Costa (percussion). New York, mai 1962 (in « Bossa Nova in USA – 1961-62 », triple CD FA5482).      3’21 

7. BOB BROOKMEYER : Chora Tua Tristeza (Oscar Castro-Neves/Luvercy Fiorini). Bob Brookmeyer (trombone à pistons), Gary McFarland (vibraphone), Jim Hall et Jimmy Raney (guitares), Willie Bobo (batterie), Carmen Costa (cabaça), José Paulo (pandeiro). New York, entre le 21 et le 23 août 1962 (in « Bossa Nova in USA – 1961-62 », triple CD FA5482).           4’13

8. STAN GETZ : Bim Bom (João Gilberto). Stan Getz (saxophone ténor), accompagné par un big band de studio sous la direction de Gary McFarland (arrangeur) et incluant notamment Jim Hall (solo de guitare). New York, 27 août 1962 (in « Bossa Nova in USA – 1961-62 », triple CD FA5482).         4’31

9. ZOOT SIMS : Maria Ninguém (Carlos Lyra). Zoot Sims (saxophone ténor) et une formation de studio incluant Phil Woods et Gene Quill (saxophone alto), Jim Hall et Kenny Burrell (guitares). New York, 28 août 1962 (comme pour le précédent).  2’38

10. QUINCY JONES : Black Orpheus (Manhã De Carnaval) (Luiz Bonfá/Antônio Maria). Quincy Jones (arrangeur) et une grande formation de studio incluant Jerome Richardson (flûte), Paul Gonsalves (saxophone ténor), Lalo Schifrin (piano) et Jim Hall (guitare). New York, 4 septembre 1962 (in « Intégrale Quincy Jones 1957-1962 », quadruple CD Frémeaux & Associés FA5857).       2’56

11. DAVE PIKE : Philumba (João Donato). Dave Pike (vibraphone), Clark Terry (bugle), Kenny Burrell (guitare), Chris White (contrebasse), Rudy Collins (batterie) Jose Paulo (cabassa, pandeiro). Englewood Cliffs, 6 septembre 1962, in “Bossa Nova Carnival”, LP original New Jazz NJ 8281).      5’18

12. COLEMAN HAWKINS : Um Abraço No Bonfá (João Gilberto). Coleman Hawkins (saxophone ténor), Barry Galbraith et Howard Collins (guitares), Major Holley (contrebasse), Eddie Locke, Tommy Flanagan, Willie Rodriguez (percussions). New York, 17 septembre 1962 (in « Bossa Nova in USA – 1961-62 », triple CD Frémeaux & Associés FA5482).               4’53

13. IKE QUEBEC : Favela (Joracy Camargo/Heckel Tavares). Ike Quebec (saxophone ténor), Kenny Burrell (guitare), Wendell Marshall (contrebasse), Willie Bobo (batterie), Garvin Masseaux (chekeré). Englewood Cliffs (New Jersey), 5 octobre 1962 (in “Bossa Nova Soul Samba”, LP original Blue Note     BLP 4114).           4’04

14. LALO SCHIFRIN : Rapaz De Bem (Johnny Alf). Lalo Schifrin (piano), Jim Hall (guitare), Christopher White (contrebasse), Rudy Collins (batterie), Jose Paulo, Carmen Costa (percussions) + harpiste et cordes non identifi(é)s. New York, 23 ou 24 octobre 1962 (in « Bossa Nova in USA – 1961-62 », triple CD Frémeaux & Associés FA5482).  2’33

15. CHARLIE ROUSE : Velhos Tempos (Luiz Bonfá). Charlie Rouse (saxophone ténor), Kenny Burrell, Chauncey « Lord » Westbrook (guitares), Larry Gales (contrebasse), Willie Bobo (batterie), Potato Valdez (conga), Garvin Masseaux (chekeré). Englewood Cliffs (New Jersey), 26 novembre1962 (in « Bossa Nova in USA – 1961-62 », triple CD Frémeaux & Associés FA5482).                 4’46

16. GEORGE SHEARING : Manhã De Carnaval (Luiz Bonfá/Antônio Maria). George Shearing (piano) et une formation incertaine comprenant peut-être, entre autres participants, Douglas Marsh (vibraphone), Ron Anthony (guitare), Ralph Pena (contrebasse) et Vernell Fournier (batterie). Los Angeles, 17 ou 18 ou 19 décembre 1962 (in « Bossa Nova in USA – 1961-62 », triple CD Frémeaux & Associés FA5482).         2’18

17. BUD SHANK : Pensativa (Clare Fischer). Bud Shank (saxophone alto), Larry Bunker (vibraphone), Clare Fischer (piano), Joe Pass (guitare) Ralph Pena (contrebasse), Milt Holland, Bob Neel, Frank Guerrero (percussions). Hollywood, fin 1962 (in “Bossa Nova Jazz Samba”, LP original Pacific Jazz
PJ 58).  
3’28

 



[1] D’aucuns lui prêtent près de sept cents œuvres, d’autres plus de trois mille.

 

[2] Coffret de 4 CD FA5697.

 

[3] Ces deux estimations d’ordre chronologique ont été discutées. Y compris par lui-même qui parlait plutôt de huit ans de bourlingue en terre inconnue. Une chose est certaine à ce propos : il est resté là-bas si longtemps et sans donner de ses nouvelles que, rapportait-il non sans jubilation, «on m’a cru mort et on a même dit des messes pour le repos de mon âme !».

 

[4] L’aria de la Bachiana Brasileira N°5 (cf. CD 1, # 1) l’œuvre la plus connue de Villa-Lobos (W 391), composée dès 1938, sera interprétée, adaptée à leur manière, non seulement par des artistes populaires brésiliens (comme Elizeth Cardoso, Baden Powell, Laurindo Almeida, Egberto Gismonti), mais aussi par des hommes et des femmes de jazz. Notamment les chanteuses Jackie Cain, Karrin Allyson, Julie Lavender et Eileen Farrell, le trompettiste Dusko Goykovich, les membres du Modern Jazz Quartet et ceux du L.A. Four, Lalo Schifrin (à plusieurs reprises), Sonny Stitt, Chris Hunter, Roy Hargrove et Bobby Watson avec «Pride of Lions», Wayne Shorter enfin, dans «Alegria», proposé en 2003.

 

[5] Elle servirait d’ouverture au disque «Conção do Amor Demais», arrangé et dirigé par Antônio Carlos, d’où se détache aussi Outra Vez
(cf. CD 1, # 8) et que beaucoup regardent aujourd’hui comme le tout premier album de bossa nova dans la mesure l’on y découvre la batida, le «battement» de guitare si particulier dont Gilberto, au terme d’une quête assidue dans une salle de bain de Diamantina, avait fait sa marque de fabrique.

 

[6] Il serait le premier, mais ne resterait pas le seul. En témoigne par exemple cet aveu de Georges Moustaki : «La première fois que j’ai entendu de la bossa nova (…), je ne comprenais pas. Et il a fallu que ce soit Toquinho qui vienne me montrer un peu comment on pose les doigts sur le manche…».

 

[7] Lui-même suivi de près, il faut le préciser, par un autre 78 tours gilbertien associant Desafinado et Hô-ba-la-la.

 

[8] Né en 1919; mort en 2010, à demi oublié, dans un hôpital de la banlieue de São Paulo.

 

[9] Jean-Louis Lebris de Kérouac pour l’état civil. Signataire non seulement de «Sur la route», (On the Road, qui donnait le ton en 1957, mais encore des «Clochards célestes» (The Dharma Bums, 1958) du «Vagabond solitaire» (Lonesome Traveler, 1960) ou des «Anges vagabonds» (Desolation Angels, 1965), pour n’évoquer que ces titres édifiants. La traduction française des trois premiers ouvrages a été publiée par Gallimard, celle du quatrième porte les couleurs des éditions Denoël.

 

[10] Elle sera fructueuse, et des années durant. Parmi leurs plus incontestables réussites, outre Chega de Saudade (1958) : A Felicidade (1956), Eu não existo sem você (1959), Brigas nunca mais (1959), Amor em Paz (1961), Garota de Ipanema et So danço samba (1962), Agua de Beber, O morro não tem vez, Samba do avião et Insensatez (1963), O grande amor (1967). Avec d’autres compositeurs, Baden Powell au premier chef, de Moraes proposera pour sa part des miniatures aussi abouties que Morena flor (1958), Você e eu (1961), O Astronauta 1962) ou Berimbau (1964).

 

[11] Sylvia (ou Silvia, ou Sylvinha) Telles (1934-1966) compte avec Dick Farney et Lucio Alves parmi les premières célébrités de la chanson populaire brésilienne à avoir gravé des œuvres de Jobim. C’est un sujet de gloire mais, à l’écoute de ses enregistrements, entre autres «Sings The Wonderful Songs Of Antoniô Carlos Jobim (Elenco MEV-65), je la présenterais, sans vouloir en rien diminuer ses mérites, comme une chanteuse de bossas novas plutôt que sous les traits d’une chanteuse bossa nova (remarque pareillement valable pour Dick et Lucio). Mais j’en laisse juges ceux qui vont la découvrir grâce à ce coffret.

 

[12] Le premier de ces thèmes a collectionné les pseudonymes, du transparent Theme from Black Orpheus au pétulant Sweet Happy Life, proposé par Wanda Sa en 1965 dans son album «Softly». Quant au second, parfois déguisé en A Day in the Life of a Fool, il sera ressassé à tel point que le Guiness book le rangera parmi les dix standards les plus exploités sur notre planète.

 

[13] Probablement ce professionnel avisé n’aurait-il pas parié sur la transcendance du résultat, En revanche, il imaginait volontiers que la chose ne passerait pas inaperçue de la clientèle des disquaires. Or ce qu’il convient de vendre d’abord, c’est ce qui s’achète en priorité. Rien de byzantin dans la formule. Il est seulement dommage que, dans un grand nombre de cas, elle relève aussi d’une arithmétique de la médiocrité, la quantité de la demande ayant, en matière d’art, peu de chose à voir avec la qualité de l’offre.

 

[14] L’État dont étaient originaires les deux artistes, ce qui dut faciliter leur rapprochement.

 

[15] Tom le comptait au surplus parmi les instrumentistes qu’il admirait le plus, pour son invention, et ne manquait jamais de faire appel à lui lorsqu’il avait besoin qu’on le remplaçât. En 1956, il avait produit «Cha Dançante», son enregistrement inaugural.

 

[16] Remarquable formation de bossa nova instrumentale, réunie autour du pianiste Fernando Martins et concurrente directe du Tamba trio de Luiz Eça, du Sambalanço trio de Cesar Camargo Mariano et de Bossa Très, dirigée par un quatrième spécialiste des 88 touches : Luis Carlos Eça.

 

[17] Cf. le livret du CD «Le Trio Camara» (Frémeaux & Associés FA562).

 

[18] Publié chez Edisud en 1988.

 

[19] Ce sont là les deux premières strophes et le dernier vers du poème dans l’adaptation en français — remarquablement empathique — présentée sous le titre de Les eaux de mars par Georges Moustaki, à qui Nara Leão avait fait rencontrer Jobim.

 

[20] D’aucuns y ont vu l’expression d’une manière qui tranchait avec la plupart des styles illustrés par les grands songwriters brésiliens de l’époque.

 

[21] «Si tu insistes pour qualifier/Ma façon de faire dantimusicale/Je dois mentir moi-même en soutenant/ Que c’est de la bossa nova /Que c’est très naturel».

 

[22] Fondé en 1942 par Ismael Neto qui décédera sans crier gare en 1956, le groupe avait beaucoup fait pour que le genre fût accepté dans le showbusiness en un temps où il n’y était pas le bienvenu. À partir de 1946, les Cariocas avaient triomphé sur les ondes à la radio et suscité lintérêt des compagnies de disques. Rappelons quavec avec Elizeth Cardoso, ils seront les tout premiers à chanter Chega de Saudade avec le concours de João Gilberto. Ce dernier ainsi que auteurs de la chanson (Jobim et Vinícius) retrouveront le quintette en 1962 au Bon Gourmet, un restaurant de Copacabana qui faisait aussi office de boîte de nuit (cf. «Um Encontro Não Au Bon Gourmet» - Doxy ACV2046).

 

[23] 1932-2020. Il ne fut pas qu’interprète, mais encore compositeur (notamment de Zelão et de la musique de «Le dieu noir et le diable blond», signé par Glauber Rocha en 1964), réalisateur de films, acteur sur le petit comme sur le grand écran, militant politique et… fort caractère. Calazans et Lesage le décrivent «impulsif comme un guerrier canaque».

 

[24] Un seul des autres titres évoque l’Amérique latine : le Besame Mucho de la pianiste mexicaine Consuelo Velazquez.

 

[25] Samba de uma nota so n’avait été présenté au public brésilien que l’année précédente, illustré par João Gilberto dans son album «O Amor, o Sorriso e a Flor».

 

[26] On songe d’abord à son frère d’âme Zoot Sims et à Coleman Hawkins. Tous deux ont présenté des disques de bossa jazz dont on aime se souvenir (cf. Maria Ninguem : # 9 du CD 2 et Um Abraço no Bonfá : # 11). Ajoutons-leur Paul Gonsalves, excellent dans une trop brève intervention sur le Black Orpheus de Quincy Jones. (cf. CD 2, # 10).

 

[27] Au premier rang desquels Bob Brookmeyer (cf. Chora Tua Tristeza : CD 2, # 7).

 

[28] Preuve en est que les premières tentatives de métissage entre musique populaire savante afro-américaine et musique populaire savante brésilienne, si elles avaient éveillé la curiosité (plus ou moins), diverti (plus ou moins), aguiché, (plus ou moins), n’avaient le moindrement infléchi le cours ni de l’une, ni de l’autre. Rappelons qu’elles avaient été, dès 1954 (cf. «Bossa Nova in USA/1961-62», CD 1, # 6 et 14; CD 2, # 14), l’entreprise commune de deux membres du Stan Kenton orchestra au faîte de sa renommée : le guitariste Laurindo Almeida, né à São Paulo, et le saxophoniste-flûtiste Bud Shank, originaire de Dayton (Ohio). Il ait peu probable qu’eux-mêmes aient espéré changer le monde avec des Innovations à ce point timides — gentilles, aimerait-on dire. On retrouvera ici Shank, huit ans plus tard, dans un joli Pensativa (cf. CD 2, # 15).

 

[29] In «Bossa Nova», réalisé à Los Angeles au mois de juin (Reprise R-6050).

 

[30] Plus inattendu encore que les deux derniers dans ce florilège : Eddie Harris (cf. Samba Para Dos : CD 2, # 14). On se souvient surtout de lui comme d’un champion du varitone «flirtant avec rock et rhythm and blues» (François Billard), oubliant qu’à ses débuts dans les studios d’enregistrements, il pouvait, par sa sonorité, faire songer à Stan Getz.

 

[31] Comme il n’avait que trop tendance à le faire, d’ailleurs sans protestation de la part de son partenaire.

 

[32] Le plus frappant exemple de ce tournant esthétique surprenant, et pourtant trop peu commenté fut peut-être fourni par «Indian Summer», gravé en mars 2007 (Telarc CD-83670-25).

 

[33] «Nous vivons dans deux mondes distincts», titre dune chanson des années 40 dont le vocaliste et guitariste de musique country Hank Williams a donné une interprétation fort appréciée des amateurs. En 1962, Ahmad Jamal lavait enregistrée à la tête de son trio historique (Israel Crosby et Vernell Fournier) au cours des séances qui donnèrent naissance à «Ahmad Jamal at the Blackhawk» (Argo LP 703).

 

[34] Columbia PC33703).

 

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